Entretien réalisé le mercredi 30 octobre dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
Tudor Pop est député USR (Union Sauvez la Roumanie) depuis 2016. Il est membre de la Commission santé et actuel président de la Commission de la jeunesse et des sports à la Chambre des députés du Parlement roumain. Après un premier entretien accordé en juin 2023, il revient sur la situation concernant les jeux d’argent et de hasard en Roumanie…
Où en est-on sur le plan législatif vis-à-vis de l’industrie des jeux d’argent ?
Ces derniers mois, nous avons initié plusieurs projets législatifs pour réglementer les jeux de hasard. Notre proposition, avec l’USR, vise à interdire les salles de jeux d’argent dans les villes de moins de 10 000 habitants, et à imposer une distance minimale de 300 mètres entre elles. D’autres députés de l’USR ont également proposé de limiter la publicité pour ce type de jeux. Le PSD – Parti social-démocrate, actuellement au pouvoir, ndlr – a repris certains éléments de nos propositions, et son projet de loi, adopté rapidement grâce à sa majorité au Parlement, inclut une interdiction des salles dans les localités de moins de 15 000 habitants. Cependant, cette mesure, mal formulée, s’est révélée inconstitutionnelle et impraticable, entraînant un processus de révision afin de clarifier les règles. Pendant ce temps, et malgré nos efforts, on peut dire que l’industrie du jeu a largement gagné la bataille. Ces dernières temps, la publicité dans les rues et les médias est restée omniprésente. Même si nous parvenions à restreindre les jeux en milieu rural, le problème persistera dans les villes où l’accès aux salles de jeux reste très facile et la dépendance encouragée. Par exemple, une ville comme Buzău compte environ 20 salles de jeux sur son boulevard principal, confrontant les personnes dépendantes à une tentation constante. La dépendance au jeu est reconnue comme étant aussi sévère que celle aux drogues dures, et bien que l’Office national des jeux dispose de fonds pour la prévention et le traitement, il peine à répondre aux besoins des personnes dépendantes et de leurs familles*. De son côté, le gouvernement semble se satisfaire de percevoir des taxes plus élevées de la part de cette industrie, sans pour autant mettre en œuvre de vraies mesures de protection. D’autres pays de l’Union européenne appliquent des règles bien plus strictes : limitation des dépenses aux machines à sous, contrôle de la distance entre les salles de jeux, etc. En Roumanie, beaucoup perçoivent le jeu avant tout comme une source potentielle de revenu, ce qui est une grave erreur. Dans les pays mieux réglementés, le jeu est davantage vu comme un divertissement avec un budget fixe. J’espère que dans un contexte politique différent, après les élections, nous pourrons instaurer des mesures sérieuses afin de protéger les citoyens vulnérables, souvent peu informés des dangers de ces pratiques.
* Lire notre précédent entretien sur le sujet avec Eugen Hriscu, psychiatre et expert en matière d’addictions (« Regard, la lettre » du samedi 26 novembre 2022) : https://regard.ro/eugen-hriscu/
Combien cette industrie rapporte-t-elle à l’État ?
Près d’un milliard de lei par an – soit un peu plus de 200 millions d’euros, ndlr. D’un autre côté, bien qu’il soit copieusement taxé, le secteur compense en maximisant ses profits. Les dépenses publicitaires des opérateurs renforcent l’exposition de la population, notamment des jeunes, et donc les rentrées de l’industrie. Une industrie omniprésente dans les rues et les médias, qui tend à normaliser le jeu d’argent, même pour les adolescents. D’ailleurs, ces derniers se retrouvent souvent dans les salles de jeux malgré l’interdiction d’y entrer pour les mineurs. Le revenu fiscal généré est dérisoire comparé aux dégâts provoqués par les jeux d’argent et de hasard, tant sur le plan social que sanitaire. C’est pareil avec l’industrie du tabac, où les produits sans fumée sont peu réglementés. Malheureusement, l’État est trop faible, et ses responsables manquent de vision à long terme pour protéger le bien-être des citoyens. Notre objectif n’est pas d’interdire les jeux d’argent, mais de mieux les encadrer afin de limiter l’exposition, surtout celle des jeunes. Et d’offrir des solutions et du soutien aux personnes dépendantes.
La société civile roumaine prend-elle davantage conscience des dégâts provoqués par les casinos et les jeux en ligne ?
Le problème de la dépendance aux jeux d’argent touche les Roumains de tous âges et de tous milieux, particulièrement dans les petites et moyennes villes où les jeunes, sans autres loisirs, se tournent souvent vers les salles de jeux ou les paris sportifs. Nous avons donc besoin de politiques publiques fortes. La responsabilité principale incombe à l’exécutif et à l’Office national des jeux de hasard censés réguler le secteur. Bien que des lois existent, comme l’Ordonnance de 2017, elles sont souvent détournées sous la pression du lobbying de l’industrie, permettant l’apparition de publicités et de salles de jeux même près des écoles. Il n’y a pas de contrôle strict. Ce dysfonctionnement crée un cercle vicieux où le Parlement doit constamment rattraper des lacunes qui devraient être traitées en amont. Il est essentiel d’avoir des institutions solides et indépendantes pour résister au lobbying et aux pressions économiques. Tant que l’exécutif restera vulnérable à ces influences, la législation ne sera pas efficacement appliquée, et les élus resteront impuissants face aux abus.
Propos recueillis par Charlotte Fromenteaud (30/10/24).