Entretien réalisé le mardi 22 novembre dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
Les jeux d’argent prolifèrent en Roumanie, provoquant une dépendance grandissante chez les jeunes notamment. Eugen Hriscu, psychiatre et expert en matière d’addictions, évoque les dangers d’un phénomène qui semble échapper à tout contrôle…
Le nombre de personnes dépendantes au jeu est-il en hausse en Roumanie ?
Nous n’avons pas de données officielles à cet égard. Malheureusement, l’État roumain n’est aucunement intéressé par le sujet, que ce soit en termes de santé publique ou de réglementation. Mon cabinet enregistre un nombre croissant de demandes de services liés à l’addiction au jeu, qui touche de plus en plus de mineurs. Le phénomène a carrément explosé. Et il est facilement observable, il y a des salles de jeux à tous les coins de rue. Sans parler de ces publicités très agressives en ligne, à la radio, à la télé, et sur de gigantesques bannières qui recouvrent les façades des bâtiments. Il existe un principe de base dans la psychologie des masses selon lequel l’accessibilité pousse à la consommation. Cela veut dire que plus une drogue est accessible, plus elle sera consommée.
Vous comparez l’addiction au jeu à une drogue, comment se manifeste-t-elle et quels sont les risques pour un joueur ?
Ce n’est pas moi qui fait cette comparaison mais l’Organisation mondiale de la santé (OMS, ndlr) qui, depuis 2015, place la dépendance au jeu aux côtés des autres types d’addiction, à la drogue, à l’alcool et au tabac. Cela signifie que les jeux d’argent provoquent des troubles similaires aux autres drogues. Le principal symptôme est une altération de la capacité d’autocontrôle ; la personne en cause n’arrive plus à gérer ni le temps, ni l’argent qu’elle dépense et accumule des dettes. Ces individus ne quittent la salle de jeux qu’au moment où ils ont dépensé tout leur argent. Parmi les différentes addictions, la dépendance au jeu est d’ailleurs parmi celles qui provoquent le plus grand nombre de tentatives de suicide. Après un épisode où une personne aura perdu tout contrôle et dépensé des sommes conséquentes mettant en danger la sécurité financière de sa famille, le réveil est brutal ; elle comprend dans un second temps la gravité de son geste et s’installe dans la culpabilité et le désespoir. Le suicide apparaît alors comme la seule issue.
Les organisateurs de jeux encouragent l’addiction, peut-on les désigner comme complices ? Et que devraient faire les autorités pour enrayer ce fléau ?
Les administrateurs de jeux admettent eux-mêmes que leur travail est de créer une addiction. Cette industrie a comme but de rendre les gens dépendants, car ce sont eux qui fournissent l’essentiel de ses revenus colossaux. Dire que les jeux de hasard ne représentent qu’un divertissement inoffensif est un mensonge. Les administrateurs de jeux savent très bien d’où provient l’argent ; parfois d’économies destinées à l’éducation des enfants, ou d’emprunts accordés à des taux d’intérêt vertigineux. Ce sont des marchands de drogues à haut risque, et ils sont à l’œuvre en Roumanie, sans que rien ne les arrête. Les salles de jeux sont comme les « magasins de rêves » qui, dans les années 2010, vendaient aux adolescents des drogues très dangereuses en toute impunité. Cette industrie et la publicité qui l’entoure doivent être strictement réglementées. Il faudrait tout d’abord interdire l’accès des mineurs dans les salles de jeux, et instaurer des peines sévères pour toute entorse, ainsi que limiter le nombre de salles. Il faudrait ensuite protéger les joueurs et les informer des chances réelles de gain d’une machine à sous, par exemple. Mais nous avons surtout besoin de mesures de prévention et de traitement. Le ministère de la Santé devrait vraiment commencer à se préoccuper des problèmes de santé mentale des Roumains.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.