Entretien réalisé le mardi 24 mai dans la matinée, par téléphone et en roumain.
Avec la santé, l’éducation est l’un des domaines sur lesquels « Regard, la lettre » revient souvent. Après deux premiers entretiens sur l’enseignement en Roumanie*, Oana Moraru, consultante en éducation et fondatrice d’une école privée, fait le bilan de ces derniers mois…
Comment décririez-vous l’état actuel de l’école roumaine ?
Nous nous trouvons toujours dans un état d’urgence qui a débuté avant la pandémie et que la crise sanitaire a aggravé. Durant cette énorme pause, l’accent a été mis sur la question de savoir s’il existe ou non un nombre suffisant d’ordinateurs pour les élèves en oubliant, ce qui a d’ailleurs arrangé la classe politique, qu’il est surtout impératif d’investir dans la formation des enseignants ou encore dans la réalisation de nouveaux manuels scolaires. Durant ces deux dernières années, tout travail à cet égard a été stoppé. Les déficiences du système d’éducation sont nombreuses : des enseignants souvent médiocres et ayant une mentalité de fonctionnaire, une connaissance psychologique insuffisante des élèves, ou encore une classe politique qui n’a aucun projet stratégique à long terme, ni aucune idée quant aux besoins du marché du travail dans l’avenir. Le système pâtit en outre d’énormes problèmes de financement, l’argent semble disparaître dans des trous noirs. Il y a ensuite une structure pyramidale bâtie autour du ministère de l’Éducation où fourmillent différents centres de pouvoir et où chaque fonctionnaire, inspecteur ou proviseur s’efforce de survivre, fatigué de devoir gérer des milliers de papiers et dépourvu de toute responsabilité professionnelle.
Plusieurs projets de réforme ont récemment été annoncés, dont celui de changer la manière dont les élèves sont évalués. Est-ce un pas dans la bonne direction ?
En théorie, changer l’évaluation et instaurer un système de tests plus facilement quantifiables et interprétables peut être un bon point de départ, une sorte de baguette magique, bien que minimale. En tout cas, cela permettrait aux enseignants d’avancer vers un objectif unique et clair. Mais le problème est surtout que la Roumanie ne dispose pas d’un nombre suffisant d’enseignants, et ne peut donc pas se permettre de se séparer de ceux qui ne sont pas à la hauteur. L’ensemble du système souffre d’une grande pénurie de professeurs ; même les grands lycées ont du mal à occuper les postes à pourvoir. Du coup, je ne sais pas si cette modification aboutira aux résultats escomptés, dès lors que nous n’avons pas les moyens de récompenser ou, le cas échéant, de sanctionner les enseignants. La Roumanie manque avant tout d’un contexte poussant les professeurs à avoir un véritable impact sur l’évolution des enfants.
Que recommanderiez-vous aux autorités pour améliorer les choses ?
Comme je le mentionnais, il faudrait commencer par la formation des enseignants, et par donner une plus grande autonomie aux écoles, aux proviseurs, pour qu’ils puissent choisir eux-mêmes leur personnel. Et je conseillerais surtout d’agir dans la continuité ; tous les pays qui ont obtenu des résultats ont mis en œuvre un projet à long terme, sur dix, quinze ans, endossé par tous. Car une idée louable lancée aujourd’hui ne pourra pas porter ses fruits si le ministre de l’Éducation est remplacé tous les deux ans, tirant un trait sur les prémices de n’importe quel projet.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.
* https://regard.ro/ciprian-fartusnic/ (« Regard, la lettre », septembre 2021).
https://regard.ro/anca-tirca/ (« Regard, la lettre », mars 2021).