Entretien réalisé le vendredi 7 octobre dans la matinée, en roumain et en visioconférence depuis Chişinău (capitale de la République de Moldavie).
Igor Munteanu est le fondateur du think tank IDIS, l’Institut pour le développement et l’initiative sociale (Chişinău). Ancien ambassadeur moldave à Washington, il a été député pro-européen entre 2019 et 2021. Dans cet entretien, il se penche sur l’actualité récente en République de Moldavie…
Quelle est l’atmosphère à Chişinău ? Comment le pouvoir en place vit-il la guerre en cours ?
L’ambiance est relativement calme, même si le pays ne se trouve pas dans un contexte stable et sûr avec la guerre à ses portes. Il y a cependant des manifestations devant le Parlement organisées sous l’égide du parti Şor, une émanation du groupe de kleptocrates liés à Ilan Şor, l’individu qui a volé 1 milliard de dollars aux banques de Moldavie entre 2013 et 2014, et qui est aujourd’hui en fuite en Israël. De l’extérieur, le gouvernement pro-européen a réalisé de grandes avancées. La dernière en date est que la République de Moldavie est officiellement devenue pays candidat à l’entrée dans l’Union européenne. Et il bénéficie de l’aura de la présidente Maïa Sandu, qui est aussi populaire en Moldavie qu’à l’étranger. Cependant, sur le plan interne, ce même gouvernement n’arrive pas à gérer les politiques économiques, notamment les problèmes liés à l’énergie, une résultante indirecte de la guerre en Ukraine. De nombreux groupes sociaux ne sont pas satisfaits des initiatives actuelles et de leurs résultats. Certes, les protestataires devant le Parlement représentent le parti Şor, mais les revendications sociales sont réelles. Si ce parti paie des manifestants pour rester devant le Parlement, l’insatisfaction générale est bien là. La paupérisation massive de la population est un fait ; les prix ont considérablement augmenté – le taux d’inflation est actuellement de 35 %, ndlr –, notamment ceux de l’énergie.
Le géant énergétique russe Gazprom a annoncé qu’à partir d’octobre, il ne fournirait que 70 % du gaz habituellement alloué à la Moldavie, et qu’il risque de le couper totalement à partir du 20 octobre. Existe-t-il des alternatives d’approvisionnement ?
Oui, et elles ont toujours existé, mais beaucoup diront que le principal problème est le prix. Sur le marché, le tarif du gaz russe est effectivement l’un des plus acceptables. Ceci étant, selon moi, le prix n’est pas l’élément le plus important de l’équation en ce contexte de conflit. C’est plutôt que le pays est très vulnérable, trop dépendant vis-à-vis de la Fédération de Russie. Pour revenir aux alternatives, la Moldavie peut désormais acheter de l’électricité et du gaz sur le marché européen, notamment depuis la Roumanie qui dispose d’exploitations en mer Noire, et de gaz liquéfié arrivant au port de Constanţa. Le gaz peut aussi être acheminé grâce aux gazoducs connectés à la Moldavie, je pense notamment à ceux d’Isaccea et de Iași-Ungheni. Ces deux solutions sont tout à fait envisageables et faisables, mais en ce moment, elles ne fonctionnent pas parce que certains ministres moldaves veulent rester fidèles à Gazprom. Malheureusement, des membres du gouvernement actuel manquent de vision stratégique ; il ne voit pas que le gaz n’est pas seulement un produit économique, c’est un instrument de politique externe pour la Russie.
On parle beaucoup de la Transnistrie, mais on connaît moins la Gagaouzie, où des manifestations anti-gouvernementales ont récemment eu lieu. Quelle est la situation là-bas ?
Les Gagaouzes sont installés au sud de la Moldavie, ils forment environ 3 % de la population moldave, soit autour de 130 000 personnes. Ils parlent un dialecte turc mais sont chrétiens orthodoxes. Et suivent également la narration russe. Récemment, l’Assemblée populaire de ce territoire autonome a proclamé qu’il allait contester toutes les lois ou décisions du gouvernement central si la Moldavie se rapprochait trop de l’UE, et qu’ils allaient revendiquer l’indépendance de la région. Cela n’a pas de sens, la Gagaouzie ne pourrait pas tenir sous une forme indépendante. Il s’agit là d’un autre instrument de chantage de la Russie sur la Moldavie dans son ensemble. Les Gagaouzes vivent de l’agriculture et dépendent des exportations vers la Russie. Si l’on trouve une solution pour les connecter au marché européen, je pense que la situation se calmera.
Propos recueillis par Marine Leduc.
À lire ou à relire, notre précédent entretien avec Igor Munteanu sur la situation en République de Moldavie au début du conflit en Ukraine (« Regard, la lettre » du 19 mars 2022) : https://regard.ro/igor-munteanu/
Et avec Victor Parlicov, ancien directeur de l’Agence nationale de réglementation de l’énergie en République de Moldavie (« Regard, la lettre » du 6 novembre 2021) : https://regard.ro/victor-parlicov/