Entretien réalisé en roumain le matin du mardi 8 mars, à Chişinău – capitale de la république de Moldavie – dans les bureaux de l’IDIS, l’Institut pour le développement et l’initiative sociale, Think tank créé par Igor Munteanu.
Igor Munteanu est expert en politiques publiques. Ancien ambassadeur moldave à Washington, il a été député (pro européen) entre 2019 et 2021. Il livre ici ses éclairages sur la république de Moldavie en pleine invasion russe de l’Ukraine…
Dans quelle mesure la république de Moldavie est-elle affectée par cette guerre ?
C’est une tragédie ici aussi, et ce même s’il n’y pas de combats sur notre territoire. La majorité des gens considère l’attaque injustifiable et barbare. D’où l’élan de soutien pour les Ukrainiens qui fuient les combats via notre pays ; 220 000 réfugiés sont entrés en Moldavie, et 75 000 sont toujours là. Une partie d’entre eux sont des Moldaves qui vivaient en Ukraine. Ce qui est extraordinaire, c’est que 90% de l’aide à ces réfugiés provient des familles moldaves et de la société civile, non pas de l’État, alors que nous vivons dans un pays fragile et pauvre. Plus généralement, les Moldaves sentent la guerre très proche, les bombardement sont tout près, à seulement 200-300 km de Chişinău. Aujourd’hui, les Moldaves sont préoccupés et effrayés. Si certains ont préféré quitter le pays, la plupart sont néanmoins toujours là et attendent. Une majorité est opposée à l’attaque russe, ce qui veut dire que si l’armée russe pénètre en Moldavie, elle ne sera pas reçue avec des fleurs. N’oubliez pas qu’il y a eu une opposition soviétique en Ukraine, jusqu’en 1953, mais aussi en Moldavie, jusqu’en 1952. Ici, la Russie serait considérée comme un occupant.
Pourtant, le Kremlin contrôle les médias moldaves…
80% de la presse moldave est effectivement financée par la Russie et se trouve sous son contrôle. La propagande russe est extrêmement agressive. Cela ne se ressent sans doute pas à l’Ouest, mais ici, c’est très fort. À tel point qu’au début de la guerre, le Conseil de l’audiovisuel a dû suspendre certains médias, dont Sputnik – agence de presse sous la coupe de Moscou, ndlr. Mais il y en a d’autres qui sont tout aussi virulents… Pour ces médias, les valeurs de l’Occident sont décadentes et dépourvues d’humanisme ; pour eux, il est par exemple inadmissible que la protection des personnes LGBT soit érigée en politique d’État. De fait, pour la Russie, le rapprochement avec l’Occident est vu comme une menace existentielle. Voilà pourquoi elle propose en retour sa vision du monde face au danger que représente le modèle occidental. À cet égard, protéger ses compatriotes en Ukraine ou en Moldavie s’inscrit dans cette stratégie. En définitive, la politique extérieure russe consiste surtout à protéger les Russes. C’est très proche de la vision allemande pendant sa période fasciste, quand Hitler a envahi la région des Sudètes.*
* En octobre 1938, le Reich intègre cette partie germanophone de l’ancienne Tchécoslovaquie, et ce avec l’aval du président du Conseil français Édouard Daladier, du Premier ministre britannique Neville Chamberlain, et du Duce italien Benito Mussolini, lors de la signature des accords de Munich, le 29 septembre 1938.
En quoi la structure de l’économie moldave s’est-elle modifiée depuis l’accord d’association avec l’UE en 2014 ?
Notre commerce extérieur est de plus en plus lié à l’Union européenne. 67% des exportations moldaves sont à destination de l’UE. Les exportations de produits agricoles, qui représentent 410 millions d’euros par an, ont été dépassées en volume par les services, l’informatique, mais aussi par la fabrication de composants pour l’industrie automobile, soit 650 millions d’euros par an pour le pays. 50% de cette production part d’ailleurs en Roumanie. Ces dernières années, la structure de notre économie s’est donc considérablement modifiée, il y a eu aussi de nombreuses implantations de sociétés d’Europe de l’Ouest. Autre aspect fondamental, là encore lié à l’UE, les capitaux ramenés depuis l’étranger. Le taux d’émigration moldave est l’un des plus élevés au monde, 30% de la population active travaille à l’étranger. En 1989, le pays comptait 4,4 millions d’habitants, Transnistrie* comprise, aujourd’hui nous sommes entre 2 et 2,5 millions, sans les 300 000 habitants de Transnistrie. Depuis vingt ans, les Moldaves partent massivement vers l’Europe de l’Ouest, alors qu’avant, la destination principale était la Russie. 1 million de Moldaves sont en Occident contre 100 000 au sein de la Fédération russe… Les salaires et les bénéfices sociaux sont plus importants dans l’UE. Le modèle russe n’attire plus.
Propos recueillis par Benjamin Ribout.
* État indépendant autoproclamé depuis le démantèlement de l’URSS en 1991. Cette langue de territoire coincée entre la république de Moldavie et l’Ukraine n’est pas reconnue par la communauté internationale, et reste sous la mainmise de Moscou.
En bon complément, lire aussi l’entretien de Benjamin Ribout avec Igor Munteanu publié le dimanche 13 mars dans le quotidien français Ouest-France.