Entretien réalisé le mardi 11 octobre dans la soirée, par téléphone et en roumain.
Dans cet échange, le général de réserve Virgil Bălăceanu étudie le risque que Moscou utilise des armes nucléaires tactiques dans la guerre en Ukraine…
Selon plusieurs sources, la Russie possèderait environ 2000 armes nucléaires tactiques. Si Moscou décide de lancer ne serait-ce qu’une seule ogive, comment procédera-t-elle et avec quelles conséquences ?
Ce serait une décision très difficile pour Poutine et pour les généraux qui la mettraient en œuvre. Et absolument inopportun à ce stade de la guerre. Cela contredirait d’abord la décision de mobilisation partielle. À quoi bon mobiliser de nouvelles troupes si vous avez l’intention d’utiliser des armes de destruction massive ? Tout porte à croire que nous allons rester dans le scénario d’une guerre classique. L’augmentation des forces militaires russes vise actuellement à défendre les régions de Kherson, Zaporijia et Louhansk, ainsi qu’à poursuivre l’offensive dans la poche du Donbass pour la conquête de Donetsk. Rien n’indique l’utilisation opérationnelle d’armes de destruction massive. D’autant que cela engendrerait une réaction brutale de l’Otan et des États-Unis. De son côté, la Chine est très attentive à ce qui se passe en Ukraine. L’utilisation d’armes nucléaires tactiques créerait un précédent en ce début de 21ème siècle, avec des conséquences dramatiques pour les relations entre Pékin et Moscou. Par ailleurs, la Chine n’est pas une puissance nucléaire stratégique et possède peu d’ogives par rapport aux États-Unis et à la Fédération de Russie. Or, si la Russie a recours aujourd’hui au nucléaire tactique, les États-Unis pourraient également utiliser ce type d’armes afin de défendre Taïwan. Il s’agit d’un scénario certes exagéré, mais auquel la Chine pense certainement.
Que voulez-vous dire par réaction brutale de la part de l’Otan ?
Au-delà de la sévérité des sanctions et de l’opprobre de toute la communauté internationale, les alliés pourraient lancer des frappes chirurgicales qui cibleraient précisément l’arme nucléaire tactique elle-même ou les moyens de transport de cette arme, c’est-à-dire les lanceurs opérationnels-tactiques ou l’escadron d’aviation porteur. Si l’on considère ce scénario peu probable, il s’agira certainement d’une arme nucléaire tactique de très faible puissance, de 0,1 à 0,3 kilotonne. Actuellement, la tendance est à la réduction de l’arme nucléaire tactique, de sorte que son usage apporte des avantages militaires mais ne conduise pas au déclenchement d’une guerre nucléaire. On exclut désormais l’arme nucléaire tactique à haut rendement de 100 à 200 kilotonnes. Pour vous donner une idée, la bombe atomique d’Hiroshima avait une puissance de 15 kilotonnes.
L’utilisation d’une arme nucléaire tactique aussi forte met en danger à la fois vos propres forces et votre propre population. Il faut aussi penser à préparer des unités de décontamination terrestre, beaucoup de matériel spécifique, du personnel… D’autant qu’on ne peut savoir dans quelle direction ira le nuage radioactif. C’est pourquoi la décision d’utiliser de telles armes est si difficile, y compris d’un point de vue opérationnel en amont ; sortir les munitions nucléaires du dépôt et les transporter est un risque en soi. Aujourd’hui, le plus important est que l’Otan assure l’approvisionnement en armes et munitions de l’Ukraine, notamment pour qu’elle puisse se défendre dans la poche du Donbass. À mon sens, une forte résistance ukrainienne conduira à une diminution de l’intensité des actions militaires russes, et pourrait finalement conduire à un conflit ouvert gelé, scénario le plus probable de fin de la guerre.
La Russie n’a pas hésité à utiliser l’arme chimique en Syrie. Est-ce une option réaliste sur le champ de bataille ukrainien ?
En Syrie, rappelez-vous que les Russes ont blâmé les Syriens et les forces paramilitaires alliées à la Syrie… En Ukraine, l’usage d’armes chimiques a les mêmes problématiques et serait perçu de façon similaire à celui d’armes nucléaires tactiques.
Propos recueillis par Carmen Constantin.
À lire ou à relire, le précédent entretien avec Virgil Bălăceanu sur le bouclier antimissile de Deveselu (« Regard, la lettre » du 19 mars 2022) : https://regard.ro/virgil-balaceanu/