Entretien réalisé le mercredi 12 octobre dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
Călin Boto, critique et curateur de films, lauréat du prix Ion Cantacuzino, parle ici de la production cinématographique sous la période communiste et des défis de l’archivage…
Quel est l’état des archives cinématographiques en Roumanie ?
Elles sont vastes mais inégales. La période 1946-1950 est une date charnière entre une production éclatée, en grande partie muette et aujourd’hui difficile d’accès, et une production organisée, planifiée par les communistes et assez proprement archivée. On pourrait presque dire que la professionnalisation de la production cinématographique et son archivage sont nés avec le communisme. À partir de 1946 donc, la production cinématographique s’organise sur deux modes principaux. D’un côté, des studios d’État sont créés, et une partie des films sont produits par les employés de ces studios. La plupart sont des courts métrages documentaires, mais on trouve aussi des films d’animation, des fictions, des publicités pour la télévision, et des documentaires vantant les réalisations des entreprises étatiques. Ces créations correspondent à des thèmes et à un plan annuel définis par le Conseil de la culture et de l’éducation socialiste en fonction des priorités quinquennales. En parallèle, ces studios ont aussi fait appel à des collaborateurs externes, souvent des artistes estimés par les autorités, qui venaient présenter leur scénario à une commission approuvant ou pas les projets proposés. Une fois tournés, ils étaient de nouveau soumis à une commission de visionnage. De nombreux films produits de cette façon ont ainsi été victimes de la censure ; ils ont dû être remontés ou refaits entièrement.
Quel est aujourd’hui l’intérêt de ces films ?
Certains d’entre eux méritent vraiment d’être vus car on ne peut pas nier la qualité de nombreux réalisateurs. Ce sont d’abord des documents historiques importants qui dévoilent une vision du monde particulière, et parfois un regard sur des événements notables du 20ème siècle. Je pense notamment à des images de la révolution magyare de 1956, ou encore à des films sur la guerre du Vietnam. La création cinématographique était complexe, très variée, et cela malgré les contraintes de contenu. Sur un autre registre, les reportages permettent d’entrer dans la vie quotidienne de l’époque communiste. On peut apercevoir les intérieurs des blocs, la décoration… Et puis il y avait le cinéma amateur. C’est un milieu au sein duquel on peut dénicher des œuvres extraordinaires. À l’origine de ces films amateurs, on trouve le plus souvent des étudiants d’université et des ouvriers. Il y a notamment eu un groupe à Arad, le Kinema Ikon qui, dans les années 1970, a réalisé des films captivants. Son représentant le plus connu est George Sabău ; il a été encouragé par le parti communiste qui voyait d’un bon œil que la jeunesse s’empare de ce médium.
Quel avenir et quelle réception aujourd’hui pour ces films ?
Une grande partie des films se trouvent aux Archives nationales. Mais ces archives présentent plusieurs défauts. Le premier est ce qu’il manque, l’angle mort de l’archivage. La majorité des archives sont des films d’État produits après 1946. Tout un pan du cinéma amateur est en train d’être oublié, perdu chez des particuliers. Les films d’art sont aussi plutôt au sein de collections privées ou détenus par des galeries. Le second problème concerne l’accès à ces films qui ne sont pas tous catalogués. La recherche peut être laborieuse surtout quand elle est un peu abstraite ou concerne une idée, un thème. Il faut du temps à la documentaliste pour répondre aux requêtes. Tout cela résulte d’un sous-financement extrême et chronique des institutions culturelles en Roumanie. Quant à la numérisation des archives, elle est un défi et repose aujourd’hui en grande partie sur nous, les curateurs, les chercheurs, les étudiants, qui payons des taxes afin que la collection numérique soit alimentée. Et pour ce qui est de l’avenir de ces films, il dépend du public et de leur valorisation. Depuis quelques années, les films muets sont souvent projetés ainsi que les films qui furent victimes de la censure, les films contestataires, anti-communistes, presque canonisés par toute une génération. De mon côté, j’aimerais changer un peu ce paradigme. Je suis plutôt enclin à organiser des projections autour de thèmes, à faire découvrir des films expérimentaux qui dorment dans les archives, et il y a un public pour cela. Avec Oana Ghera, du festival du film expérimental de Bucarest, nous allons essayer de projeter plusieurs films d’archives chaque année autour d’un thème. Lors de la dernière édition qui vient de se terminer, nous avons monté tout un cycle autour de l’écologie.
Propos recueillis par Hervé Bossy.