De fin septembre jusqu’au 1er novembre, la république de Moldavie s’est retrouvée face à une crise énergétique sans précédent, jusqu’à proclamer l’état d’urgence. Explications avec Victor Parlicov, ancien directeur de l’Agence nationale de réglementation de l’énergie en république de Moldavie…
Pourquoi la république de Moldavie et Gazprom – principal fournisseur d’énergie fossile en Russie, ndlr – ont eu des négociations difficiles afin d’établir un nouveau contrat sur la livraison de gaz (1) ?
Le premier rôle de Gazprom en Moldavie est de financer le séparatisme de la région de Transnistrie (2). Dans tous les contrats qui ont existé jusqu’à aujourd’hui, l’élément essentiel a été qu’il existe une voie par laquelle le gaz fourni par Gazprom arrive gratuitement en Transnistrie, ceci dans le but d’entretenir l’illusion d’une économie active sur la rive gauche du Dniestr. Mais l’année dernière, les choses ont changé, il est alors devenu possible pour la république de Moldavie d’avoir du gaz en contournant la Transnistrie. Le pays a avancé dans la construction d’infrastructures pour obtenir du gaz depuis la Roumanie, et pour produire de l’énergie électrique permettant de ne plus être dépendant de la Transnistrie. Car une partie de l’électricité moldave provient de la région séparatiste où sont installées des centrales thermiques. À partir de ce moment-là, l’obligation de fournir gratuitement du gaz à la Transnistrie ne tenait plus. La fin du contrat avec Gazprom approchant, la Fédération de Russie a alors décidé de ne plus fournir de gaz à la république de Moldavie, et de forcer des négociations à dimension politique impliquant l’avenir de la Transnistrie.
(1) Un nouveau contrat a été signé le 1er novembre pour une durée de cinq ans, après une baisse de tarif accordée par Gazprom.
(2) Étroite bande de terre située entre la république de Moldavie et l’Ukraine. En 1992, la 14ème armée russe repoussa les forces moldaves désireuses de reprendre ce territoire suite à la chute de l’Union soviétique. Depuis, la Transnistrie, pseudo-État non reconnu par la communauté internationale, est sous la coupe de Moscou. Sa capitale est Tiraspol.
Gazprom réclame un remboursement de dette à la république de Moldavie, soit plus de 7 milliards de dollars. Qu’en est-il exactement ?
D’abord, il s’agit de la dette de la société Moldovagaz, pas celle de la Moldavie. Moldovagaz est le principal distributeur de gaz en Moldavie, contrôlé à 64% par Gazprom. Or, la répartition de cette dette entre les deux rives du Dniestr – entre la république de Moldavie et la Transnistrie, ndlr – n’a pas été comptabilisée de façon équitable par Moldovagaz. Selon des études que nous avons réalisées, il est même possible que des dizaines voire des centaines de millions de dollars aient été occultés dans les comptes de Moldovagaz. Quoi qu’il en soit, pour cette société, toutes les dettes ont été contractées par la Moldavie, alors que ce sont des dettes de la Transnistrie. Autre élément, si Gazprom initie une procédure d’insolvabilité de Moldovagaz, ce qu’elle obtiendra ne couvrira pas 10% de la dette totale. C’est un signe clair que toute l’activité de Gazprom dans la région n’est pas une activité commerciale proprement dite. À partir du moment où ils continuent de forcer la gratuité du gaz pour la Transnistrie sans rien en retour, ce n’est plus du commerce, c’est un projet politique qui fait la promotion des activités externes de la Russie.
Maia Sandu est la nouvelle présidente pro-européenne du pays depuis décembre 2020. Et son parti a gagné les élections législatives en juillet dernier. Quelle est la position du nouveau gouvernement vis-à-vis de ce sujet ?
Que Maia Sandu ait été élue ou pas, Gazprom et Moscou comprennent que ce n’est plus qu’une question de temps avant que la Moldavie devienne indépendante énergétiquement parlant, et qu’ils ont besoin de négocier afin d’assurer l’avenir de la Transnistrie. Car sans une injection de gaz gratuit, l’économie du territoire s’effondrera et le reste avec. Toutefois, Maia Sandu affirme clairement que la Transnistrie fait partie de la république de Moldavie, et réclame le retrait des troupes militaires russes.
Propos recueillis par Marine Leduc.
Pour en savoir plus, écoutez l’émission « Les enjeux internationaux » de France Culture, diffusée mardi 2 novembre, sur la question du gaz en Moldavie. Avec Florent Parmentier, secrétaire général du CEVIPOF de Sciences Po, et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC (11 minutes) :