Gabriel Bădescu est professeur de sciences politiques et directeur du Centre d’étude de la démocratie à l’université Babeș-Bolyai de Cluj. Il livre sa vision de la scène politique roumaine et de la situation migratoire…
La coalition au pouvoir n’en finit pas d’être fragilisée par les dissensions entre le PNL et l’USR-PLUS *. Ce partenariat peut-il résister ?
La plupart des coalitions au pouvoir en Roumanie ont pris fin prématurément. De fait, on pouvait s’attendre à ce que le PNL et l’USR-PLUS aient une relation tendue, ils partagent une tranche substantielle d’un électorat commun. Leurs représentants respectifs au gouvernement sont motivés non seulement par l’obtention de bons résultats, mais aussi par l’intention de mettre à mal l’action de leurs partenaires. Avec la crise sanitaire et les difficultés économiques, cela crée des conflits qui se retrouvent fréquemment sur la place publique. Ceci étant, l’accès aux ressources, notamment celles mises à disposition par l’Union européenne par le biais du mécanisme de relance et de résilience, constitue une raison forte pour rester au pouvoir ensemble. Par ailleurs, pour l’électorat du PNL et de l’USR-PLUS, le PSD et surtout l’AUR ne peuvent pas être des alternatives viables dans une coalition gouvernementale ; cela aussi contribue à la stabilité du partenariat actuel. Enfin, la lutte pour le pouvoir qui s’accélère au sein du PNL à l’approche du congrès de cet automne devrait réduire l’attention portée à la concurrence avec l’USR-PLUS.
* Retrouvez l’explication des sigles des principaux partis dans notre précédent entretien avec le sociologue Sebastian Lăzăroiu (19/12/2020) : https://regard.ro/sebastian-lazaroiu/
La relation citoyens-politiques est loin d’être au beau fixe. Pensez-vous que l’apparition de nouveaux dirigeants comme le Premier ministre Florin Cîțu ou le maire de Bucarest Nicușor Dan annonce le début de nouveaux liens entre les Roumains et leurs politiciens ?
Je ne suis pas convaincu que l’apparition de Florin Cîțu marque un phénomène nouveau en termes de relation avec les citoyens. Cîțu a obtenu le poste de Premier ministre parce qu’il donne l’image d’un spécialiste sérieux, contrairement à la manière dont les Premiers ministres du PSD étaient perçus par l’électorat de droite, mais aussi parce qu’il ne semble pas avoir de prétentions concernant la direction du PNL. Cependant, il n’a pas excellé dans sa communication avec les citoyens, et cela n’a pas l’air de s’améliorer. Nicușor Dan, en revanche, est un nouveau type d’homme politique qui, avec le maire de Brașov, le maire de Timișoara et quelques autres, transmet l’idée que des changements importants sont possibles lorsque des groupes de citoyens parviennent à s’activer et à collaborer. Ce message a atteint plusieurs couches de la population et rendra les prochaines élections locales plus compétitives que par le passé. Il a aussi touché des maires en poste depuis longtemps, cela les pousse à écouter plus attentivement les souhaits de leurs administrés et à obtenir des résultats visibles.
Comment voyez-vous la situation migratoire dans les cinq prochaines années ? Moins de départs et plus de retours au pays ?**
La Roumanie a considérablement réduit l’écart de développement avec les pays occidentaux après son adhésion à l’Union européenne, le niveau de vie passant de 26% de la moyenne européenne en 2000 à 70% en 2019. Résultat, cela fait quelques années que la migration interne, c’est-à-dire les départs de la campagne vers les grandes villes de Roumanie, gagne du terrain par rapport à la migration internationale. Par ailleurs, de plus en plus de migrants roumains observent qu’il y a désormais ici des offres de travail avec des salaires plus ou moins similaires à ceux proposés à l’Ouest. Ils se posent enfin la question du retour. Des études sur le sujet montrent que ceux qui ne reviennent pas invoquent surtout la mauvaise qualité des services médicaux et de la scolarité, plutôt que la faible rémunération. Ceci étant, le départ de Roumains hautement qualifiés constitue toujours un problème sérieux, d’autant que la proportion de ceux qui ont fait des études supérieures, ainsi que la proportion de ceux qui obtiennent de bons résultats aux tests scolaires internationaux sont parmi les plus faibles d’Europe.
Propos recueillis par Carmen Constantin.
** À lire également notre précédent entretien sur le contexte démographique avec le psychosociologue Petre Datculescu (13/03/2021) : https://regard.ro/petre-datculescu/