Entretien réalisé le lundi 14 mars dans la soirée, en roumain et par téléphone.
Dans cet entretien, Virgil Bălăceanu, général de réserve de l’armée roumaine, rend compte des capacités du bouclier antimissile de la base militaire de Deveselu, située à environ 170 km au sud-ouest de Bucarest…
Que se passe-t-il aujourd’hui à la base militaire de Deveselu vu la situation en Ukraine ?
Le bouclier antimissile de Deveselu* est intégré au système balistique de l’Otan. Ce n’est donc pas la Roumanie qui dicte son mode d’utilisation ; le pays est juste l’hôte du bouclier, tout en étant lui-même protégé par ce système. Ce que je peux vous dire est que la situation en Ukraine a évidemment relevé le niveau de préparation, de surveillance et d’alerte rapide de l’Otan.
* Le site a été choisi en 2011 et inauguré en 2016. Pour plus d’informations sur la mise en place du bouclier et sur ses capacités, lire le communiqué de l’ambassade des États-Unis à Bucarest.
Quelle est l’efficacité de ce bouclier ? Dans quelle mesure le territoire roumain peut-il se défendre contre une attaque de plusieurs missiles ?
D’après les nombreux tests effectués ces dernières années, le bouclier est d’une très grande efficacité. Il s’agit d’un système ample qui ne se limite pas au territoire roumain. D’un côté, il contient une composante d’interception, avec des missiles déployés au sol en Roumanie, et qui seront prochainement déployés au sol en Pologne. De l’autre, une composante du bouclier se trouve sur des destroyers américains – navires de guerre, ndlr – situés dans une base navale en Espagne. L’ensemble du dispositif comprend aussi plusieurs systèmes de radars, l’un des plus importants étant en Turquie. De fait, tous les pays de l’Otan contribuent d’une manière ou d’une autre à la sécurité collective. Ce système de défense a été mis en place pour répondre à une éventuelle attaque de missiles en provenance du Moyen-Orient, en particulier de l’Iran, soupçonné depuis longtemps de vouloir se doter de l’arme nucléaire.
Après la guerre en Ukraine, l’Otan devra mettre en place d’autres moyens de défense, notamment contre les missiles balistiques intercontinentaux et les missiles de croisière. Peut-être un système de défense aussi sophistiqué que celui d’Israël, et cela à tous les niveaux. Mis à part Deveselu, la Roumanie poursuit un programme pour équiper et moderniser son artillerie anti-aérienne avec des systèmes Oerlikon 2×35 mm capables de suivre et de détruire des cibles plus petites. Le déploiement de drones, tant militaires que civils, est également à étudier. Le conflit actuel amènera de nombreux changements dans le paradigme de la défense stratégique, opérationnelle et tactique, ce qui engendrera des investissements très importants.
Pour l’instant, espérons surtout que nous n’aurons pas à utiliser le bouclier de Deveselu ; cela signifierait que l’Otan est sous le coup d’une attaque de missiles balistiques intercontinentaux – capables de transporter des armes nucléaires, ndlr. Mais nous ne pensons pas que le conflit en Ukraine conduira à l’utilisation d’armes nucléaires stratégiques. Auquel cas, ce serait comme si la Fédération de Russie avait décidé de s’autodétruire. Et je ne vois pas de généraux russes condamner à mort leurs propres citoyens, leurs propres familles. Ceci étant, il y a aussi l’arme nucléaire tactique – se limitant, normalement, au champ de bataille, ndlr. De ce point de vue, la situation est plus complexe. Cependant, la probabilité qu’une arme nucléaire tactique soit utilisée en Ukraine est assez faible. Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est l’utilisation de missiles balistiques Iskander et de missiles de croisière Kalibr et h-101 lancés depuis des bombardiers stratégiques Tupolev Tu-95. Par ailleurs, jusqu’à présent, la Russie n’a pas utilisé d’armes hypersoniques, elles poseraient de sérieux problèmes en termes de détection et de destruction en raison de leur très grande vitesse.
À quel moment la population devrait-elle se préparer à une attaque nucléaire ?
À partir du moment où l’Otan décide d’un changement de doctrine de défense. En Roumanie, nous avons une tradition de défense civile ; dans le passé, il y avait même un manuel sur comment agir en cas d’attaque nucléaire. Certes, nous avons désormais besoin d’une nouvelle doctrine de défense territoriale impliquant des activités de protection civile. Certaines choses peuvent se préparer à l’avance, sans pour autant tomber dans une psychose de guerre. Mais une psychologie de la défense pourrait mieux protéger les citoyens. Une telle préparation ne doit pas effrayer ; tout comme nous sommes conscients de l’éventualité d’un tremblement de terre, nous devons également nous former en cas d’attaque militaire. Or, nous ne l’avons pas fait, nous ne pensions pas qu’une guerre classique soit de nouveau possible en Europe. À présent, c’est le cas, avec des chars, des missiles, des combats en milieu urbain, etc. L’Otan a mis en place une politique plutôt prudente concernant le conflit en Ukraine, elle soutient l’Ukraine sans pour autant provoquer la Russie de façon directe, n’envoie que des armes défensives, comme des missiles anti-chars et anti-aériens. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle a refusé que la Pologne mette à disposition de l’Ukraine vingt-sept MiG-29 – avions de chasse, ndlr.
Propos recueillis par Carmen Constantin.
Plus d’informations sur la menace nucléaire dans cet article du quotidien français Le Monde (04/03/2022) : « Comprendre la menace de l’arme nucléaire en 10 questions. »