Entretien réalisé le lundi 10 octobre dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
Experte en justice, Laura Ștefan, du groupe de réflexion ExpertForum, livre son analyse sur le système judiciaire roumain, vingt ans après la mise en place de la Direction nationale anticorruption (DNA)…
Où en est la DNA vingt ans après sa création ?
La lutte contre la corruption se poursuit et je me réjouis de voir que nous disposons d’une institution qui a survécu aux tentatives visant son démantèlement. La DNA continue à être un étalon dans le monde judiciaire. Certes, les dirigeants de cette institution ont eu des styles différents dans l’exercice de leur fonction. Mais être moins sous les feux des projecteurs ne veut pas dire que rien ne se passe ; au contraire, cela signifie surtout qu’on travaille d’arrache-pied dans les bureaux. D’autre part, nous ne pouvons ignorer le fait que les années 2017-2019 ont eu un impact négatif sur l’ensemble du système judiciaire, et pas seulement sur la DNA*. Mais une inquiétude persiste toujours quant au risque que les règles soient changées du jour au lendemain. Toutes ces attaques contre l’indépendance de la justice ont laissé des traces, il est très difficile aujourd’hui de reconstruire la confiance.
* Au pouvoir entre 2016 et 2020, le Parti social-démocrate (PSD) avait adopté plusieurs projets de loi décriés par Bruxelles qui risquaient de saper l’indépendance de la justice et d’affaiblir la lutte contre la corruption (ndlr).
Une juridiction spéciale, la Section pour l’investigation des infractions au sein de la justice (SIIJ, ndlr) avait été créée en 2018, privant la DNA d’une partie importante de ses prérogatives. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Le bilan de la SIIJ est loin d’être impressionnant ; en trois années d’existence, cette section a travaillé sur cinq dossiers, mais aucun n’a porté sur des faits de corruption proprement dits. Finalement, la SIIJ a été démantelée au printemps dernier. Désormais, ce sont des procureurs désignés par les Parquets départementaux qui enquêtent sur les infractions présumées commises par des magistrats. Malheureusement, je pense que cette variante n’est pas meilleure, car la manière dont ces procureurs sont choisis est plutôt discrétionnaire ; les critères de sélection ne sont pas clairs. Et force est de constater que nous ne voyons plus aucun dossier concernant des cas de corruption au sein des magistrats. Or, il est peu probable que cela ait disparu. Je dirais plutôt que nous n’avons plus les instruments adéquats pour adresser ce problème.
Dans ce contexte, y a-t-il des chances que le Mécanisme de surveillance de la justice (MCV, ndlr), mis en place par Bruxelles, soit levé, comme le souhaitent les autorités roumaines ?
La levée du MCV a en effet été une priorité pour les gouvernements successifs. Cela ne concerne pas une seule institution, mais le système judiciaire dans son ensemble. Tout dépendra de la forme finale des lois de la justice, actuellement en débat dans les commissions parlementaires. Or, l’état actuel de ces lois n’est pas très encourageant. Même si certaines choses ont été corrigées – dont la possibilité qu’un juge soit nommé procureur général, ndlr –, il est essentiel de faire très attention aux détails afin de ne pas fragiliser encore davantage un système déstabilisé entre 2017-2019.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.
À lire ou à relire, notre précédent entretien avec Laura Ștefan sur la saisie et confiscation des avoirs issus du crime organisé (« Regard, la lettre » du 23 octobre 2021 ») : https://regard.ro/laura-stefan-3/