Entretien réalisé le vendredi 21 octobre dans la soirée, par téléphone et en français (depuis Sofia).
Cheffe depuis plus de trente ans du bureau de l’Agence France Presse à Sofia, Vessela Sergueva décrypte la situation politique en Bulgarie suite aux dernières élections, qui ont vu le parti GERB de l’ex-Premier ministre Boïko Borissov arriver en tête avec 25% des suffrages, mais vraisemblablement dans l’impossibilité de former un nouveau gouvernement…
Les résultats des élections ont été annoncés le 3 octobre mais depuis, rien n’a filtré sur le prochain gouvernement. Que se passe-t-il ?
La Bulgarie est confrontée à une instabilité sans précédent depuis la fin du communisme. Les partis politiques cherchent à trouver une voie pour ce pays après l’époque Borissov, le fondateur de GERB qui a passé presque douze ans au pouvoir avec une politique de droite assez populiste, et dont la fin du troisième mandat a été ternie par des accusations d’avoir protégé les milieux corrompus. Une opposition anti-Borissov est née mais elle est très divisée, incluant d’une part des jeunes pro-européens du parti « Continuons le changement », et d’autre part des partis plus ou moins ouvertement liés à Moscou. Malgré cette large opposition, les formations politiques n’arrivent pas à se mettre d’accord ; elles ont par exemple mis trois jours pour élire un président du parlement. Vu ce morcellement, il y a une très forte probabilité que la Bulgarie s’achemine vers de nouvelles élections, les cinquièmes en deux ans. Tandis que le GERB n’arrive pas à trouver des alliés, « Continuons le changement » est en perte de vitesse, après avoir éveillé beaucoup d’espoir lors de son arrivée au pouvoir il y a un an, sans évidemment disposer de solution magique et confronté aux difficultés provoquées par la guerre en Ukraine. Les analystes évoquent le scénario d’un gouvernement d’experts formé autour de l’un des petits partis, au choix du président. Mais même si un tel exécutif venait à être formé, il n’aurait sans doute pas une longue vie… Tout au plus jusqu’aux élections municipales de 2023.
Quels ont été les thèmes de campagne et comment les partis politiques s’y sont-ils rapportés ?
Comme un peu partout en Europe, l’inflation, la hausse des prix de l’énergie et l’inquiétude pour l’hiver qui s’annonce très difficile préoccupent beaucoup les électeurs. Borissov, qui sait parler aux gens, a fait campagne sur le slogan « Contre le chaos », laissant entendre que la très forte hausse des prix serait due à la mauvaise gestion de l’ancien gouvernement, mais oubliant de mentionner l’impact de la guerre en Ukraine. Il assure que si le GERB revenait au pouvoir, il saurait dompter l’inflation. Et les gens, du moins le noyau dur d’électeurs déjà acquis à cette formation, le croient.
La guerre en Ukraine joue-t-elle un rôle dans la vie politique bulgare ?
La Bulgarie est le pays de l’UE où l’influence russe est la plus forte, et ce pour des raisons historiques. Du coup, elle représente un cas à part : si dans la plupart des pays européens, il est clair qui est l’agresseur et qui est la victime, ici de très larges franges de l’opinion publique se disent non seulement pro-russes, mais approuvent la politique du Kremlin. À cette affinité traditionnelle s’ajoutent de très forts liens économiques, tandis que nombre de médias présentent plutôt le point de vue russe sur la guerre. Cela rend encore plus difficile la formation d’une coalition, vu les positions divergentes des partis. Et pour compliquer la donne, ceux qui sont contre le Kremlin, le GERB et « Continuons le changement », sont opposés en ce qui concerne la lutte contre la corruption et la réforme de la justice.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.
À lire ou à relire, notre précédent entretien sur la situation politique en Bulgarie avec le politologue Antony Todorov (« Regard, la lettre » du 25 juin dernier) : https://regard.ro/antony-todorov/