Entretien réalisé le mardi 25 octobre dans la matinée, par téléphone et en roumain.
Professeur d’économie à l’Université roumano-américaine de Bucarest, Bogdan Glăvan parle des conditions de dépense de l’argent public en Roumanie…
Comment l’État roumain dépense-t-il son budget ? Existe-t-il une direction cohérente, une certaine philosophie politique ?
Si l’on se réfère à une perspective sur le long terme, la réponse est clairement non. De fait, la Roumanie n’a jamais eu de programmation pluriannuelle. S’il y en avait eu, nous n’aurions pas assisté à tous ces débats sur la dette publique, et à tous les scandales liés à ceux qui auraient trop emprunté au nom du pays. Cela fait longtemps qu’il n’y a pas de stratégie à long terme pour gérer les deniers publics. À court terme, il ne s’agit que de plans de relance, de consolidation budgétaire, de réduction de l’écart entre les dépenses et les recettes, et de diminution du déficit budgétaire. Aujourd’hui, les mesures envisagées ou prises répondent d’abord à un contexte de forte inflation. Le budget de l’État roumain a toujours été mal pensé. Quand il n’y a pas d’administration publique professionnelle, il n’y a pas moyen d’élaborer des budgets bien construits. Dès le départ, ils sont surévalués concernant certains chapitres, contiennent trop de dépenses à la disposition de divers donneurs d’ordres de crédit qui agissent en fonction de leurs intérêts. C’est pourquoi des dépenses non justifiées ou des corrections budgétaires importantes apparaissent souvent de façon brutale.
Quels segments de l’économie restent mal dotés ? Et pourquoi ?
Selon moi, aujourd’hui il n’y a pas un seul service public en Roumanie qui soit bien équipé, ou à la hauteur de la qualité exigée par la population. Les budgets sont notamment insuffisants en ce qui concerne l’éducation et la santé – chaque jour, cinq Roumains meurent à cause d’infections nosocomiales, a récemment confirmé le ministre de la Santé, Alexandru Rafilia, ndlr. Sans parler des décisions irrationnelles, ici et là. Par exemple, si les bureaux de police sont souvent à la limite de l’insalubrité, récemment la police roumaine a acheté des voitures de luxe pour ses agents, sous prétexte qu’ils en auraient besoin afin de rivaliser avec les puissantes voitures des criminels. Par ailleurs, les infrastructures de toutes sortes, notamment énergétiques, restent mal équipées, et je rappelle les problèmes d’approvisionnement en eau chaude et en chauffage à Bucarest ou à Constanța. Quant à Transelectrica – l’opérateur public de réseau de transport électrique, ndlr –, elle n’aurait pas les capacités de distribuer le courant fourni par les nouveaux projets d’investissement dans le domaine. Sans oublier l’infrastructure ferroviaire, qui a énormément régressé ces dernières décennies.
Comment voyez-vous les différences entre les régions ? Va-t-on vers une homogénéisation du territoire ?
Non, les différences régionales n’ont cessé de se creuser. La question est de savoir si les dépenses publiques ont ou non réduit ces décalages. D’après moi, elles se sont surtout concentrées sur l’augmentation des retraites et des salaires, et ce pour des raisons électoralistes, au lieu d’essayer de réduire les inégalités. Il est normal d’avoir des régions comme le nord-est du pays qui restent pauvres si l’on n’investit pas dans les infrastructures. Le capital s’accumule dans les zones avec un accès rapide aux marchés et à une main-d’œuvre qualifiée, c’est-à-dire autour des grandes universités. De façon générale, la Roumanie est restée un pays relativement tribal et arriéré en termes d’institutions. C’est la conséquence d’un système qui n’a jamais été en faveur de l’égalité des chances, mais plutôt semi-féodal. Les politiciens ne cessent de tirer des coups de canon, d’engraisser le cochon avant Noël, d’augmenter les retraites et les salaires avant les élections. Ce qui ne mène évidemment pas à la prospérité. L’État est alors perçu comme l’ennemi du citoyen qui cache, quand il le peut, une partie de son revenu. Que voulez-vous, les petits ont toujours tenté de survivre sous les assauts d’un Goliath pourri. Ceci étant, terminons sur une note positive… La situation du pays s’est beaucoup améliorée au cours des vingt dernières années, nous avons attiré des investissements à travers de multiples canaux, cela s’est clairement vu à partir de 2000. Les dizaines de milliards d’euros de l’Union européenne ont laissé leur marque, la croissance économique a été au rendez-vous surtout pendant la période 2010-2020. Sans les fonds structurels notamment, le contexte actuel serait pire, bien que les gouvernements successifs se soient un peu trop reposés sur eux au lieu d’engager de véritables réformes.
Propos recueillis par Carmen Constantin.
Note : Sur les neuf premiers mois de l’année, le déficit du budget de l’État roumain a atteint 3,04 % du Produit intérieur brut, soit une diminution de 0,71% par rapport à la même période en 2021 (3,75%). Il s’est établi à 41,7 milliards de lei (environ 8,54 milliards d’euros), soit 2,6 milliards de moins que l’année dernière. Quant aux dépenses d’investissement, elles sont supérieures de près de 14% par rapport à la même période en 2021 (source : ministère roumain des Finances). Plus d’infos sur Mediafax.