Entretien réalisé le mardi 25 octobre dans la matinée, en français, au studio de RFI Roumanie à Bucarest.
Cristian Pîrvulescu est doyen de la Faculté des sciences politiques de l’École nationale d’études politiques et d’administration (SNSPA), et membre du Conseil économique et social européen. Il se penche ici sur les tendances extrémistes en Europe…
Samedi dernier, Giorgia Meloni, présidente du parti d’extrême droite Frères d’Italie, a accédé au poste de présidente du Conseil des ministres italien. Dans un article récent publié au sein de l’hebdomadaire « Observator Cultural », vous faites référence au « fascisme éternel » en Italie. Que voulez-vous dire par « fascisme éternel » ?
Il s’agit d’abord d’un état d’esprit, d’un état culturel comme le décrit Umberto Eco dans un article de l’été 1995, d’ailleurs traduit en roumain. Il l’a écrit quelques mois après la victoire de Silvio Berlusconi, un changement radical dans la politique italienne. Umberto Eco, qui a vécu le fascisme de Mussolini dans son enfance, explique qu’il y a une différence entre le national-socialisme, le nazisme, qui est une idéologie, et le fascisme italien qui est, selon lui, un état d’esprit lié à divers stéréotypes, à la haine de l’autre notamment. Il identifie quinze caractéristiques du fascisme, aujourd’hui toujours détectables, et pas seulement en Italie, qui s’articulent autour d’un refus de la modernité, de la philosophie des Lumières et de son universalisme d’une part, et d’une motivation religieuse identitaire d’autre part. Il n’y a rien de nouveau. Mussolini a pris le pouvoir en Italie il y a cent ans exactement, en octobre 1922, en prônant les mêmes arguments.
Des arguments qui ont récemment réussi à s’imposer même dans un pays comme la Suède…
Effectivement, le nouveau pouvoir en place là-bas, les Démocrates de Suède, sont un parti politique nationaliste et de droite populiste. C’est un vrai choc, ce pays a toujours été un modèle de social-démocratie, alors pourquoi ? Selon moi, c’est le racisme, c’est la peur de l’immigré qui explique en grande partie ce changement radical de paradigme politique, même si le parti social-démocrate reste le premier parti du pays. Mais il n’a pas pu former de coalition suffisamment stable. Récemment, j’ai voyagé en Suède avec une délégation du Conseil économique et social européen, et j’ai demandé à plusieurs acteurs de la société civile suédoise ce qu’ils pensaient des Démocrates suédois. Pour eux, ils sont clairement des fascistes. Et de façon plus large… Quand on observe la social-démocratie des pays nordiques, de culture protestante, on voit qu’il s’agit avant tout d’une social-démocratie basée sur l’ethnie, avec des politiques sociales qui s’adressent exclusivement aux Suédois de souche. On retrouve la même chose en Angleterre. C’est un refus de l’altérité avec une racine culturelle importante. Et on observe aussi que dans les pays du nord de l’Europe, ce sont surtout les jeunes qui votent ce genre de parti.
La terminologie de « fascisme éternel » peut-elle s’appliquer à un pays comme la Hongrie ? Et qu’en est-il en Roumanie ?
On reste effectivement dans une certaine continuité, dans le sens où le Premier ministre hongrois Viktor Orbán s’est beaucoup inspiré de l’ancien régent Miklós Horthy, et de ce même élan impérialiste. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Orbán est proche de Vladimir Poutine. Par ailleurs, les sondages montrent qu’une grande partie de la population est d’accord avec la politique de Viktor Orbán, et pense que la guerre en Ukraine a été provoquée par l’Union européenne, non pas par la Russie. C’est l’inverse partout ailleurs en Europe. Quant à la Roumanie, face à une grande crise, le parti extrémiste AUR pourrait tout à fait arriver au pouvoir, comme cela s’est déjà produit par le passé avec la Garde de fer pendant la période d’Entre-deux-guerres. Précisément parce qu’en situation de crise, son électorat préfèrera voter pour un parti anti-système d’extrême droite plutôt que pour un parti post-communiste « attrape-tout » comme le Parti social-démocrate – actuellement au pouvoir avec le Parti national libéral, ndlr. N’oubliez pas qu’il y a vingt-deux ans, le parti de la Grande Roumanie de Corneliu Vadim Tudor était le deuxième plus grand parti du pays. Et qu’en 2000, deux ans avant Jean-Marie Le Pen en France, Vadim Tudor s’est retrouvé au second tour de l’élection présidentielle.
Propos recueillis par Olivier Jacques.
À lire ou à relire, notre précédent entretien avec Cristian Pîrvulescu sur la situation politique en Roumanie (« Regard, la lettre » du 17 septembre) : https://regard.ro/cristian-pirvulescu-2/