Entretien réalisé le mercredi 22 juin dans la matinée, par téléphone et en français (depuis Sofia).
Après six mois au pouvoir, le gouvernement bulgare dirigé par le Premier ministre réformiste Kiril Petkov a été renversé mercredi 22 juin par une motion de censure. Antony Todorov, professeur de sciences politiques à la Nouvelle Université bulgare, décrypte une crise politique qui semble sans fin…
Comment s’explique cette longue période d’instabilité politique que traverse la Bulgarie ?
Suite à la vague de contestations visant l’ancien gouvernement formé par le parti conservateur Gerb de Boïko Borissov, la Bulgarie a organisé trois élections l’année dernière avant d’aboutir enfin, en novembre, à la mise en place d’une coalition de quatre partis, idéologiquement incompatibles mais qui étaient d’accord pour mettre un terme aux pratiques contestées du Gerb. Cette coalition, investie d’énormes attentes, a commencé des réformes mais je pense qu’elle a ouvert un front trop large en voulant s’attaquer à presque tous les secteurs. Du coup, le processus a été ralenti et les conséquences socio-économiques qui en ont découlé, compliquées par la pandémie de Covid-19 et par la guerre en Ukraine, ont provoqué un certain mécontentement chez les Bulgares et attisé les conflits entre les différents partis de la coalition. Sur ce fond, le parti « Il y a un tel peuple » (ITP) de l’ancien « showman » Slavi Trifonov a décidé de quitter le gouvernement, invoquant comme excuses les désaccords autour de l’adhésion de la Macédoine du Nord à l’UE, ou encore la politique financière du gouvernement, alors qu’il aurait tout simplement fallu négocier.
Vous évoquez des excuses, est-ce que la raison plus profonde du désistement de l’ITP serait liée à la lutte contre la corruption ?
Évidemment. Le gouvernement du Premier ministre Kiril Petkov a mis en lumière certaines activités de corruption minant différents secteurs, dont la construction d’autoroutes, qui était la grande gloire du gouvernement du Gerb. Or, ce domaine était l’apanage du ministère du Développement régional, dont le titulaire était un membre de l’ITP. La décision de quitter le gouvernement laisse penser que Slavi Trifonov voulait continuer les mêmes pratiques corrompues. Parenthèse… Dans la société bulgare, il existe toujours des cercles qui pensent que la corruption consiste simplement à mettre un peu d’huile dans la machine bureaucratique. Heureusement, la jeune génération est beaucoup plus critique.
Quels risques la Bulgarie court-elle du fait de cette crise ?
Cette crise peut affecter tous les domaines, dont l’entrée dans la zone euro prévue pour 2024. Il y a un travail technique tellement difficile à faire, par la banque centrale notamment, que cela risque d’entraîner des retards, alors qu’intégrer la zone euro pourrait être très bénéfique pour les Bulgares. Sur le plan politique, on demeure dans l’incertitude, car on ignore les intentions des partis politiques. Vont-ils chercher à former un nouveau gouvernement issu du parlement actuel, ou vont-ils pousser pour de nouvelles élections qui pourraient avoir lieu en octobre ? Selon les sondages, un nouveau parlement serait encore plus morcelé. Mais si la crise perdure, cela pourrait mobiliser les électeurs, dont ceux favorables aux réformes et au parti « Nous continuons le changement » de M. Petkov ; ou bien, au contraire, les démobiliser, voire provoquer une progression du parti d’extrême droite Renouveau. Quoi qu’il en soit, nous traversons une instabilité incroyable et nous aurons encore un été bouleversé.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.