Entretien réalisé le mercredi 12 mars dans l’après-midi, par téléphone et en roumain (depuis Chişinău).
Veaceslav Ioniță, économiste et enseignant à l’université de Chişinău, revient sur les effets de l’embargo russe sur les fruits moldaves, dans le contexte d’une économie en pleine transformation…
Lors de notre précédent entretien, début avril 2022, vous évoquiez la dépendance des pomiculteurs moldaves envers la Russie alors que Moscou venait de lever son embargo sur les fruits, réinstauré depuis. Comment les choses ont-elles évolué ?
La Russie utilise l’embargo sur les fruits et le vin comme une arme envers différents pays, dont la Moldavie. Mais ces sanctions ont fini par avoir un effet inverse car elles nous ont incités à chercher de nouveaux débouchés. Il y a encore quelques années, les seuls fruits que nous exportions étaient les pommes, dont 99% vers la Russie, les noix, et, dans une moindre mesure, le raisin. Mais après la signature en 2014 de l’accord de libre-échange avec l’Union européenne, et grâce également au soutien de l’USAID – Agence des États-Unis pour le développement international actuellement en processus de démantèlement par l’administration Trump, ndlr –, nous avons réussi deux exploits. D’abord, nous avons diversifié notre production de fruits ; s’y sont notamment ajoutés prunes, cerises et abricots. Par ailleurs, nous exportons désormais vers dix pays, membres de l’UE pour la plupart. Finie donc la dépendance vis-à-vis du marché russe, qui ne compte plus que pour 5% du total de nos livraisons de fruits à l’étranger. Globalement, nos exportations de fruits ont fortement progressé, rapportant en 2024 près de 300 millions de dollars, soit deux fois plus que les recettes générées par l’exportation du vin, la fierté du pays. À titre de comparaison, l’industrie de pièces détachées automobiles, qui est devenue le principal secteur d’exportation de la Moldavie, a engrangé 700 millions de dollars l’année dernière.
Comment la Moldavie a-t-elle passé l’hiver du point de vue de l’approvisionnement en gaz et des factures de gaz et d’électricité ?
Ce fut surtout lors de l’hiver 2021-2022 que la Moldavie a subi le plus grand choc, quand le prix du gaz a été multiplié par six. Aujourd’hui, grâce au soutien de l’UE, le gouvernement a pu partiellement compenser cette hausse pour les familles défavorisées. Il faut aussi souligner que sur les 40% de foyers les plus pauvres, seul un petit nombre se chauffe au gaz ; la plupart ont plutôt recours à des solutions d’appoint. L’hiver dernier, c’est surtout l’électricité qui a augmenté, et, à la différence du gaz, chaque Moldave en consomme. Mais grâce, une nouvelle fois, à une aide cruciale de l’UE, les factures des familles démunies ont été partiellement couvertes par le gouvernement. L’impact de la hausse a donc été atténué. Sinon, la Moldavie n’a pas souffert en termes d’approvisionnement en gaz, elle en achète via les marchés boursiers et dispose de stocks en Ukraine ainsi qu’en Roumanie.
Quels sont les principaux défis économiques auxquels se confronte aujourd’hui la Moldavie ?
Les Moldaves sont surtout mécontents du niveau de leurs revenus, alors que l’inflation augmente. Ceci étant, j’essaie de leur rappeler que si, en 2014, seul un millier d’entre eux avaient un salaire supérieur à 1000 euros, dix ans plus tard, ils étaient plus de 100 000, la plupart concentrés, il est vrai, à Chişinău, la capitale. Autre exemple, jusqu’en 2017, avec un salaire moyen mensuel, on pouvait payer l’équivalent de 500 mètres cubes de gaz. Aujourd’hui, on peut en acheter 800. Plus généralement, pour ce qui est des défis, je citerais en premier la migration qui touche notamment le milieu rural. Environ 40 000 moldaves émigrent chaque année, ce qui représente 2% de la population. Et ce qui aggrave une crise démographique profonde, avec un taux d’accroissement naturel négatif sans précédent dans notre histoire. Néanmoins, environ un tiers de ceux qui quittent leur région natale s’établissent dans la capitale. Cela veut dire que Chişinău est devenue une alternative à l’Europe ; la ville offre des emplois qui font cruellement défaut dans les campagnes. Par ailleurs, on observe un phénomène intéressant… Des étrangers s’installent en Moldavie, actuellement ils sont au nombre de 40 000, dont la moitié venue de Roumanie. Dans l’ensemble et pour conclure, je dirais que je suis assez optimiste. Nous avons surmonté bien des crises, et l’intégration économique avec l’UE, et la Roumanie en particulier, porte ses fruits.
Propos recueillis par Mihaela Rodina (12/03/25).
Note :
Notre précédent entretien avec Veaceslav Ioniță (« Regard, la lettre » du samedi 9 avril 2022) : https://regard.ro/veaceslav-ionita/