Entretien réalisé le mercredi 5 mars dans la matinée, par téléphone et en roumain.
Alors que les ONG pallient souvent le désengagement de l’État, elles se heurtent à des questions pressantes sur leur financement. Décryptage avec Elena Calistru, présidente de Funky Citizens, quatre ans après notre première discussion…
Fin 2020, vous évoquiez une mobilisation citoyenne croissante, pour différentes causes, dans les petites et moyennes villes de Roumanie. Comment les choses ont-elles évolué depuis ?
Les crises successives, pandémie, inflation, hausse du coût de la vie, ont lourdement affecté la vie civique et publique en Roumanie. La mobilisation citoyenne semble en déclin, même si des signes encourageants subsistent. Exemple, lors de mon récent passage à Târgu Jiu, j’ai assisté à une soirée de mobilisation intense ; enseignants, élèves, jeunes actifs et retraités se sont rassemblés pour débattre des élections et de la désinformation. Cet éveil, déjà observé pendant les élections de novembre dernier, témoigne d’une résurgence de l’engagement, bien que teintée de contradictions. Si de nouveaux mouvements émergent, la polarisation croissante de la société est préoccupante. Loin d’élargir le débat, certaines mobilisations renforcent des discours isolationnistes. De fait, une tendance de fond se dessine : cette défiance accrue envers le système, héritée des mobilisations précédentes. En cause, l’échec des partis traditionnels à répondre aux attentes des citoyens. N’ayant pas su proposer une vision rassembleuse, ils ont laissé le champs libre à des discours extrémistes et des solutions simplistes face à des enjeux complexes.
D’un côté, l’État se repose sur les ONG dans bien des domaines d’actions sociales. De l’autre, la situation de ces mêmes ONG est souvent précaire, et beaucoup craignent que l’élimination de certaines facilités fiscales ne leur porte encore plus préjudice. Qu’en pensez-vous et que risque-t-il de se passer ?
Dans le domaine social, les ONG sont des acteurs majeurs, suppléant un État effectivement défaillant. En Roumanie, nombre d’entre elles se consacrent à des missions essentielles : prise en charge des enfants autistes, aide aux victimes de violences domestiques… Leur survie repose souvent sur des mécanismes comme la réorientation de 3,5 % de l’impôt sur le revenu ou le parrainage d’entreprises. Pourtant, ces dispositifs sont menacés, certains responsables politiques y voyant une opportunité de récupérer des fonds pour le budget de l’État, voire de sanctionner les ONG critiques du gouvernement. Or, ces aides fiscales représentent peu à l’échelle nationale, alors qu’elles sont vitales pour ces structures à faibles coûts de fonctionnement. Sans oublier qu’à côté de ces financements, elles s’efforcent de diversifier leurs ressources via plusieurs types de subventions et des projets. Leur souplesse compense les carences des autorités locales, souvent liées à un manque de moyens ou de priorités claires. Supprimer ces mécanismes fragiliserait non seulement les ONG, mais surtout les bénéficiaires de leurs services.
Au-delà de la perversité des réseaux sociaux, comment expliquez-vous qu’une part significative de la population, toutes générations confondues, se laisse aujourd’hui séduire par des discours réactionnaires ?
Si une partie de la société roumaine n’adhère pas aux solutions radicales, le mécontentement est généralisé. Les crises successives et une gouvernance inefficace ont nourri la frustration, d’autant que la grande coalition PSD-PNL a verrouillé le débat démocratique. Dans ce contexte, peu de figures politiques ont émergé pour porter les préoccupations des citoyens, laissant un vide que les populistes et extrémistes exploitent habilement. Leur succès tient à leur capacité à reconnaître les problèmes du quotidien, là où les partis traditionnels échouent. En s’adressant directement aux électeurs, ils apparaissent comme les seuls à les écouter, renforçant une aura messianique amplifiée par les réseaux sociaux. Pendant ce temps, la classe politique en place, sûre de sa majorité, ignore les signaux d’alarme. J’utilise souvent la métaphore suivante qui me paraît très parlante… Aujourd’hui, la Roumanie est comme une maison dont le toit fuit ; la solution n’est pas de tout brûler, comme le suggèrent les extrémistes, mais de réparer le toit. Heureusement, une grande partie de la population reste attachée à une voie raisonnable, consciente que les réponses radicales ne sont pas la solution.
Propos recueillis par Charlotte Fromenteaud (05/03/25).
Note :
Notre précédent entretien avec Elena Calistru (« Regard, la lettre » du samedi 19 décembre 2020) : https://regard.ro/elena-calistru-2