Entretien réalisé le mardi 12 novembre dans la matinée, par téléphone et en roumain (depuis Chișinău).
Valeriu Pașa est président du think tank moldave WatchDog.MD. Après un premier entretien réalisé en février dernier, il décrypte la situation en Moldavie au lendemain d’une élection présidentielle déterminante et d’un référendum historique…
Quels sont les défis auxquels la présidente réélue Maia Sandu devra faire face dans les mois à venir ?
D’après moi, la plus grande pression sur Maia Sandu ne vient pas nécessairement de l’opposition pro-russe, comme on pourrait le croire, mais bien de ses propres électeurs. Ceux qui ont voté pour elle dès le premier tour, ainsi que ceux qui se sont ralliés à elle après, espèrent des résultats concrets, notamment en matière de lutte contre la corruption. Les attentes sont élevées pour qu’elle prouve son efficacité dans ce domaine crucial, car la corruption reste l’une des principales voies d’influence de la Russie sur la République moldave. En injectant des fonds dans le système politique moldave, la Fédération de Russie tente de manipuler les scrutins et de maintenir un levier puissant sur la scène politique locale. Maia Sandu doit donc, en priorité, œuvrer à affaiblir cette emprise financière et institutionnelle que Moscou exerce indirectement à travers la corruption. Son principal défi réside dans l’assainissement du climat politique avant les élections législatives de l’année prochaine. Pour y parvenir, elle devra donc redoubler d’efforts afin d’endiguer le flot d’argent russe dans les circuits politiques nationaux, une tâche aussi essentielle que délicate. Par ailleurs, la présidente fait face à un autre défi de taille : le mécontentement d’une partie de la population envers le gouvernement en place. Ce mécontentement est palpable, et il est renforcé par un sentiment de frustration concernant les performances du parti au pouvoir, perçues comme décevantes par beaucoup. Dans ce contexte, une réorganisation gouvernementale pourrait s’avérer nécessaire. Un remaniement, ou du moins un renouveau de la direction du parti, pourrait être bénéfique en vue de répondre aux attentes de la société. Enfin, l’un des enjeux majeurs pour l’exécutif sera d’améliorer la communication entre les institutions de l’État, y compris la présidence, et la population, cela afin de regagner la confiance des citoyens et de susciter un sentiment de proximité et d’engagement vis-à-vis de son projet politique.
Quelles sont les perspectives concernant les élections législatives ?
En dépit d’un éventuel remaniement, il est peu probable que le Parti Action et Solidarité (PAS, ndlr) de Maia Sandu parvienne à obtenir à lui seul une majorité lors des élections législatives de l’année prochaine. Pour garantir la stabilité politique et répondre aux aspirations européennes des citoyens, la république de Moldavie a besoin de nouvelles forces pro-européennes qui viendraient compléter et élargir l’offre politique actuelle. Ces forces pourraient attirer une part importante de l’électorat, en apportant des perspectives et des solutions innovantes au-delà de celles proposées par le PAS. Une telle diversification de l’offre politique renforcerait non seulement le camp pro-européen, mais permettrait aussi aux électeurs de disposer d’un choix plus large, et peut-être plus attractif, au moment du vote. D’autant que l’intérêt pour une intégration à l’Union européenne semble faire consensus au sein de la société moldave, et cette tendance se reflète parfois même dans les rangs de ceux traditionnellement associés à une vision plus favorable à Moscou. Alexandru Stoianoglu, qui fut le principal adversaire de Sandu lors de la présidentielle et reste une figure politique locale influente, s’est ainsi exprimé en faveur de l’adhésion à l’UE, une position qui peut sembler paradoxale étant donné qu’il est plutôt pro-russe. Mais cela montre aussi que Moscou est consciente, au moins en surface, de l’adhésion de la majorité des citoyens moldaves au projet européen. Cette dynamique témoigne de profonds changements au sein de la société, où l’Europe apparaît de plus en plus comme une destination naturelle, y compris pour des représentants politiques qui pourraient être considérés comme des figures de compromis entre les deux grandes influences géopolitiques. À l’approche des élections, ces éléments rendent cruciale l’émergence de nouveaux partis ou mouvements capables de porter un message pro-européen renouvelé, rassemblant un large spectre de l’électorat. La capacité de ces nouvelles forces à proposer des réponses concrètes aux défis économiques et sociaux du pays pourrait s’avérer décisive dans l’issue du scrutin et dans la pérennisation de l’élan européen au sein de la politique moldave.
Quelles sont les prochaines étapes de l’intégration européenne ?
La prochaine étape sera d’abord de garantir une majorité parlementaire résolument pro-européenne à l’issue des élections législatives. Ce n’est pas seulement une question de déclarations ou d’intentions ; il faudra une majorité réellement engagée à mener les réformes nécessaires, sans laquelle le projet d’adhésion risquerait d’être gravement entravé, voire stoppé net. Le pays est à un tournant, et la composition de son futur Parlement jouera un rôle décisif dans sa capacité à avancer dans le processus d’intégration. La république de Moldavie se trouve dans une dynamique complexe où l’Europe suscite à la fois espoirs et débats internes. La mise en place d’une majorité parlementaire pro-européenne et réformiste en 2025 sera essentielle afin de maintenir l’élan actuel et répondre aux aspirations d’une part significative des citoyens. Les mois à venir seront déterminants.
Propos recueillis par Charlotte Fromenteaud (12/11/24).