Entretien réalisé le samedi 10 février dans la matinée, par téléphone et en roumain (depuis Chișinău).
Valeriu Pașa, président du groupe de réflexion moldave WatchDog.MD, actualise la situation dans le pays voisin, terrain de jeu de la propagande de Moscou, une propagande dérangée par les ambitions européennes de Chișinău…
La Moldavie est visée par des campagnes de désinformation menées par la Russie, dans quels buts ?
Ces campagnes essaient avant tout d’influencer les opinions des gens, leurs préférences électorales, afin d’empêcher la Moldavie de s’affranchir de toute influence russe en se rapprochant de, voire en intégrant l’Otan, par exemple, ce que la Fédération de Russie considère évidemment comme nuisible à ses intérêts. Sont également visés les femmes et hommes politiques moldaves qui soutiennent l’entrée du pays dans l’Union européenne, ou les valeurs européennes de façon générale. Ces campagnes tentent en outre de créer une image faussement positive de la Russie et du régime de Vladimir Poutine. Les moyens utilisés sont ajustés en permanence, même si le style, très agressif, reste le même. Parfois, ces narratifs reposent sur des perceptions, vraies ou fausses, répandues au sein de l’opinion publique. En ce moment, on constate une utilisation toujours plus intense de YouTube, l’exploitation de failles dans la sécurisation des réseaux sociaux, et l’introduction de sommes d’argent conséquentes dans la publicité en ligne. Des messages anti-occidentaux peuvent aussi être relayés depuis la Roumanie.
Dans ce contexte, la présidente Maia Sandu a annoncé son intention de soumettre à un référendum une future intégration de la Moldavie dans l’UE. Une telle démarche est-elle nécessaire, et d’après vous, quelle sera son issue ?
Tous les sondages d’opinion de ces dernières années, qui ne prennent pas en compte les voix de la diaspora, soit celles de plus d’un tiers des électeurs, donnent une majorité de 55 à 60% d’opinions favorables à l’entrée dans l’UE. Cependant, nous assistons en même temps à un discours anti-UE des politiques pro-russes et de la propagande officielle de Moscou, partagé par une partie de la population qui prétend que les Moldaves sont majoritairement opposés à l’UE, que l’intégration serait une mauvaise chose, etc. C’est pour mettre un terme à ce type de débat qu’il faut organiser un référendum. D’aucuns disent qu’une telle consultation aurait dû être organisée à l’issue des négociations d’adhésion ; mais ce processus doit être mené dans un contexte parfaitement légitime, au-delà de toute contestation. Si l’on sait déjà que la Fédération russe ne pourra pas y avoir gain de cause, il est certain qu’elle tentera toutefois de torpiller le référendum.
Quid de la Transnistrie dont les autorités pro-russes ont déjà annoncé que ses habitants n’y participeront pas…
Ce référendum ne sera effectivement pas organisé en Transnistrie, car on ne peut pas ouvrir des bureaux de vote dans une région où la sécurité des électeurs n’est pas assurée. Ceux qui souhaiteront voter pourront néanmoins le faire en Moldavie. La Transnistrie est en proie à une rhétorique émanant soit de Moscou, soit de la communauté locale des affaires concentrée autour du groupe oligarchique Sheriff, et destinée à mettre la pression sur Chișinău. Ceci étant, dans le contexte géopolitique actuel, le gouvernement moldave a enfin commencé à adopter des mesures visant la réintégration pacifique de la Transnistrie au sein de la Moldavie. Certes, la soi-disant élite économique de Tiraspol n’a pas caché son opposition, laissant entendre qu’elle aussi avait des cartes en main et ne se laisserait pas faire. Mais le gouvernement moldave détient des leviers incomparablement plus forts, tandis que l’influence de la Fédération russe est en baisse, malgré la présence de ses militaires sur le territoire.
Propos recueillis par Mihaela Rodina.
À lire ou à relire, notre précédent entretien sur la situation politique en Moldavie avec Vitalie Călugăreanu, correspondant pour la Deutsche Welle (« Regard, la lettre » du samedi 2 décembre 2023 : https://regard.ro/vitalie-calugareanu/)