Entretien réalisé le jeudi 14 novembre dans la matinée au Centre de résilience et de mobilisation communautaire de Timişoara, en roumain.
Le soutien aux réfugiés ukrainiens par la société civile et les autorités publiques a constitué une étape positive pour la prise en charge des personnes vulnérables. Illustration à Timişoara avec le Centre de résilience et de mobilisation communautaire qui fonctionne toujours, comme l’explique sa directrice, Angela Ciupa-Rad…
Dans quel contexte votre centre a-t-il été créé ?
Avec la crise des réfugiés ukrainiens… La mairie a très vite senti que Timişoara allait être mise à contribution. Alors dès le 1er mars 2022, nous avons rapidement ouvert une structure conjointe entre la société civile et les autorités publiques locales afin de passer à l’action sans attendre que les choses se mettent en place au niveau national. La mairie a mis à disposition un lieu, près de la gare, où il commençait à y avoir pas mal de passage. Une équipe de plus de vingt personnes y a travaillé 24 heures sur 24, rassemblant acteurs publics et associatifs, citoyens, fondations, entreprises. En vingt années d’activité dans le social, je n’avais jamais vu une telle mobilisation. Bien qu’en tant que services sociaux de la ville, notre but a toujours été de maintenir ce lien avec la communauté, d’identifier et de mobiliser le plus de ressources possibles. Ce lien entre tous les acteurs de la société est extrêmement précieux, il faut l’entretenir car cela nous rend plus résilients et plus soudés. Prenez la pandémie… Grâce à une très forte mobilisation, nous avons pu venir en aide aux personnes vulnérables. Autre exemple, lors de la vague de chaleur de l’été dernier, nous avons soutenu les personnes âgées et handicapées qui, pendant des semaines, n’ont pas pu sortir de chez elles.
Comment tout cela s’est-il maintenu ?
Nous sommes aujourd’hui dix personnes à travailler dans le centre – géré par la Direction de l’assistance sociale de la municipalité de Timişoara, ndlr. Il est financé à 100 % par le budget local, ce qui est plutôt atypique en Roumanie. Désormais, il ne reste plus qu’environ 1000 Ukrainiens à Timişoara, contre 3000 au début de la guerre. Mais nous avons en parallèle continué notre travail avec l’intégration d’autres catégories de migrants qui, jusque-là, étaient surtout en transit ; ces personnes venaient ici illégalement et passaient sous les radars des services sociaux qui, de toute façon, n’étaient pas formés pour les aider. Certes, les problématiques sont différentes, mais que vous soyez Ukrainien ou d’un autre pays, il faut toujours se loger, trouver un emploi, et inscrire son enfant à l’école. Heureusement, ici il est plutôt facile de trouver du travail, même si c’est souvent alimentaire, dans un premier temps en tout cas. J’ai le cas d’une médecin ukrainienne que nous avons aidée à remplir toutes les formalités, sauf que pour l’instant, elle ne parvient pas à trouver de cabinet médical. Il est également très difficile de communiquer avec les systèmes de santé et les écoles. Être enregistré est une chose, mais ces personnes sont classées différemment, il faut souvent des traducteurs, cela prend plus de temps, tout est tellement bureaucratique… Même chose avec le médecin de famille ou les services hospitaliers. Notre système est déjà complexe pour nous en tant que Roumains, alors pour eux… Tout est plus compliqué, même s’ils travaillent et sont ici légalement. Je pense aussi au permis de protection temporaire qui exige un bail enregistré. Or, là encore, il est extrêmement difficile de convaincre les propriétaires. Il y a aussi tout un travail à faire auprès des employeurs. Sans oublier certaines catégories de personnes qui n’ont pas l’habitude de travailler légalement et se satisfont du peu de droits dont elles disposent.
Est-il devenu plus facile de vous faire connaître auprès de ces populations ?
Depuis quelques années, la Roumanie fait venir légalement des travailleurs de divers pays, d’Inde, du Pakistan, du Sri Lanka… Mais ces gens ne viennent pas forcément à nous, même s’ils rencontrent des problèmes. C’est à nous d’aller vers eux en organisant, par exemple, des événements. Cependant, ils peuvent avoir peur de venir, surtout s’ils sont exploités ou menacés par leur employeur. Et puis il faut parvenir à trouver des représentants de chaque communauté. Parfois, certains préfèrent éviter de rencontrer d’autres membres de leur communauté qui peuvent être impliqués dans du trafic d’êtres humains. De manière générale, la Roumanie et l’Inspection générale de l’immigration n’ont pas été suffisamment bien préparées à la venue de ces populations. Il y a un quota qui augmente chaque année, mais la capacité d’accueil de l’Inspection n’a pas augmenté de façon correspondante. Dans des villes où il y a du travail, ces individus se sont heurtés à des goulots d’étranglement ; il faut des mois pour renouveler des papiers, certains restent longtemps avec un statut incertain. Ceci étant, avec la numérisation, les choses avancent. Ce qu’il s’est passé avec les Ukrainiens nous a bien préparés, ce fut un électrochoc sociétal. Certes, il y a encore beaucoup de travail, notamment au niveau de la perception de ces populations par la société. Mais je constate aussi que dans d’autres villes, les choses commencent à se mettre en place, c’est encourageant.
Propos recueillis par Benjamin Ribout (14/11/24).