Entretien réalisé le mercredi 9 février dans l’après-midi, par visioconférence et en anglais.
Second entretien avec Ștefan Leonescu, conseiller juridique à Jesuit Refugee Service (JRS Romania) qui s’occupe des réfugiés et demandeurs d’asile. Depuis quelques années, de plus en plus de travailleurs asiatiques arrivent en Roumanie et demandent de l’aide…
Comment avez-vous commencé à assister ces travailleurs venus d’Asie ?
Cela a commencé à partir de 2015. Ils ne sont pas réfugiés mais viennent avec un permis de travail, ils ne bénéficient donc pas de la même protection. Or, nous avons remarqué qu’ils avaient aussi besoin d’aide. Le premier groupe que nous avons identifié était des travailleuses domestiques philippines. Elles subissaient beaucoup d’abus, les pires étant des cas d’exploitation sexuelle. Puis, nous avons aidé des Népalais, des Vietnamiens, des Indiens… Certains employeurs les font travailler douze à quatorze heures par jour, parfois sans pause, et leurs salaires ne sont pas payés à temps.* Parfois, ils habitent avec huit ou dix autres personnes dans la même pièce. La confiscation des papiers d’identité est aussi un acte d’exploitation illégal ; ils sont gardés par l’employeur ou l’agence de recrutement, ce qui empêche ces travailleurs de changer d’entreprise. Ils n’ont pas de liberté de mouvement, ce qui est pourtant un droit fondamental.
* Ștefan Leonescu décrit là des cas particuliers. Il y a évidemment des sociétés qui emploient des travailleurs asiatiques en toute légalité et prennent soin d’eux. JRS aide aussi à trouver ces bons employeurs. (Ndlr)
Comment leur situation peut-elle être améliorée ?
La responsabilité importe d’abord à l’employeur et aux agences de recrutement qui doivent s’assurer des bonnes conditions de vie et de travail. Sauf que parfois, la personne recrutée est laissée en second plan. Quand le travailleur arrive, c’est à l’employeur de s’occuper de ses papiers dans les trois mois qui suivent. Or, il arrive qu’il ne le fasse pas, le travailleur se retrouve alors en situation illégale sur le territoire et risque l’expulsion. De son côté, l’employeur s’en sortira avec une simple amende. Par ailleurs, les autorités ont aussi leur part de responsabilité. Le quota de permis de travail pour les travailleurs hors Union européenne, permis renouvelés inclus, est passé de 50 000 l’année dernière à 100 000 en 2022. Nous n’avons pas eu de telles migrations de personnes lors de notre histoire récente, les infrastructures pour gérer cet afflux sont insuffisantes. Certes, les ambassades aident leurs concitoyens, mais elles n’en ont pas toujours les moyens. Il arrive qu’elles nous contactent pour les assister. Mais les ONGs peuvent le faire jusqu’à une certaine limite. Un autre problème est qu’il n’existe pas encore de fonds spécifiques dédiés aux travailleurs venus d’Asie.
Et que se passe-t-il quand ils se tournent vers la justice en cas d’abus ?
Ils sont souvent découragés car les procédures sont longues et ils n’ont pas forcément les ressources pour se défendre. Il n’est également pas simple de trouver des traducteurs assermentés. En général, ils préfèrent se taire et continuer à subir des abus. Je ne dirai pas qu’il s’agit d’esclavage moderne, mais cela pourrait le devenir si les agences de recrutement dans les pays d’origine continuent d’endetter ces travailleurs, si des employeurs continuent de les exploiter, et que le manque d’assistance et de réponses persiste.
Propos recueillis par Marine Leduc.
À lire ou à relire, notre précédent entretien avec Ștefan Leonescu sur l’accueil des réfugiés ukrainiens (« Regard, la lettre » du 19 mars dernier) : https://regard.ro/stefan-leonescu/