Entretien réalisé le lundi 30 janvier dans l’après-midi, en roumain, dans le bureau d’Expert Grup à Chişinău, capitale de la République de Moldavie.
En Moldavie, le gaz n’est pas le seul instrument de chantage du Kremlin. La Russie a imposé plusieurs fois des embargos sur les exportations de produits moldaves, dont les fruits en août dernier. Le point sur la situation avec Stas Madan, économiste pour le centre d’analyse indépendant Expert Grup…
Pourquoi l’embargo russe vise-t-il les fruits moldaves, notamment les pommes ?
L’agriculture demeure une branche importante pour l’économie de la Moldavie ; elle constitue près de 10% du PIB et plus de la moitié des exports, si l’on prend en compte l’ensemble du secteur agroalimentaire. Un dixième de ces exportations sont des fruits, et jusqu’au début de la guerre en Ukraine, 95 % des pommes destinées à l’exportation étaient envoyées en Russie. L’embargo vise un secteur essentiel, et même si les autorités russes invoquent des motifs phytosanitaires, il s’agit en réalité d’une question purement politique. D’ailleurs, cet embargo ne concerne pas la Transnistrie, région séparatiste soutenue par le Kremlin. Et en décembre dernier, il avait été partiellement levé. Dans un communiqué de presse, il est clairement mentionné que les discussions avec le parti pro-russe de l’oligarque Ilan Șor* avaient mené à un allègement de l’embargo – cela avait été aussi le cas au printemps dernier, quand Chişinău s’était retenu de participer aux sanctions à l’égard de la Russie (voir notre précédent entretien sur le sujet avec Veaceslav Ioniță), ndlr.
* Homme d’affaires israélo-moldave controversé, en fuite depuis près de trois ans, également dirigeant du parti éponyme Șor, nationaliste et russophile.
Comment les producteurs moldaves réagissent-ils ?
En fait, c’est surtout la guerre qui les a affectés. Ne pouvant plus traverser l’Ukraine pour aller en Russie, un camion doit désormais contourner le pays par la Pologne. Cela prend plusieurs jours, et c’est plus coûteux. Le port d’Odessa est aussi bloqué, il faut donc transporter les marchandises jusqu’au port de Constanţa, en Roumanie. Quoi qu’il en soit, les producteurs avaient déjà commencé à chercher d’autres destinations que la Russie pour exporter leurs marchandises, embargo ou pas. Alors que la Moldavie exportait des fruits vers 18 pays en 2021, elle est désormais en lien avec 30 pays. Toutefois, la concurrence est rude, notamment sur le marché européen. Pour les pommes, c’est vraiment un défi, car il y a plus d’offre que de demande. Je pense que les producteurs devraient cultiver d’autres fruits, comme les raisins ou les prunes qui marchent beaucoup mieux, notamment en Allemagne. Il faut prendre exemple sur les vignerons qui, suite aux embargos qui ont débuté à partir de 2006, ont su s’adapter en diversifiant leurs exportations mais aussi leurs produits.
Des mesures ont-elles été prises pour aider ces producteurs de fruits moldaves ?
Le gouvernement moldave a d’abord instauré un « couloir vert » à la frontière à destination des camions transportant des produits périssables, comme les fruits. Ainsi, ils passent plus rapidement et cela fluidifie le trafic. Il tente aussi de multiplier et de rallonger les accords commerciaux de libre-échange, notamment avec les pays de l’EFTA (Norvège, Liechtenstein, Suisse et Islande, ndlr), ou avec la Turquie. Enfin, l’Union européenne a mis en place deux mesures en juin dernier ; d’abord, nos transporteurs de marchandises n’ont plus besoin d’autorisations spéciales pour traverser les pays de l’UE, et les quotas pour l’exportation de pommes, prunes et autres fruits ont augmenté. Même si nous avons signé un accord de libre-échange en 2014 avec l’UE, certains produits alimentaires était soumis à des quotas. Ces mesures sont censées être temporaires, mais on espère qu’elles deviendront permanentes.
Propos recueillis par Marine Leduc.