Entretien réalisé le mardi 31 janvier dans la soirée, par téléphone et en roumain.
Nouvelle discussion avec Sorin Ioniță, président du groupe de réflexion Expert Forum, sur l’action du maire de Bucarest Nicușor Dan. Et les dysfonctionnements entre institutions…
Lors de notre précédent échange, vous disiez que le maire Nicușor Dan travaillait beaucoup, mais que cela ne se voyait pas. Ses actions ont-elles cependant apporté des résultats concrets ?
Il reste toujours plutôt dans l’ombre. Même lors de ce dernier drame lié aux chiens errants – une femme est décédée après avoir été attaquée par une horde de chiens près du lac Morii, le 21 janvier dernier, ndlr –, ses allocutions dans les médias ont été très réservées. Certes, lorsqu’il a parlé, il a dit des choses correctes, avec une approche équilibrée, que le blâme est partagé, qu’il y a un manque de coordination, etc. Mais en tant que maire, vous avez aussi le devoir d’être un leader. Si vous avez de bonnes idées, vous devez pouvoir les transmettre au plus grand nombre, c’est votre devoir, sans attendre que les gens vous écoutent assis bien sagement comme des écoliers. Or, c’est un peu le problème. Nicușor Dan fait de bonnes choses, dit des choses, mais il ne trouve pas la méthode pour toucher les gens. Il a remis à l’équilibre les finances de la mairie de Bucarest, ce qui n’est pas rien, mais ce fait majeur n’est malheureusement que peu repris dans les discussions ou dans les médias. Face au bavardage superficiel de la politique roumaine, à quoi cela sert-il ? Vous luttez, vous utilisez votre mandat de quatre ans pour rééquilibrer les finances de la mairie, et puis, parce que vous ne savez pas comment le dire, vous perdez les élections. D’autres arrivent, ils prennent les clés de la maison, désormais bien nettoyée, et ils recommencent à la saccager. Il faut penser un peu politiquement. Il doit aussi y avoir une stratégie politique au-delà de la stratégie administrative et de gestion.
La tragédie récente près de Lacul Morii est-elle symptomatique d’un problème endémique propre à Bucarest ?
Selon moi, c’est un signal d’alarme. Cela montre que quelque chose ne va pas au sein de plusieurs institutions, et qu’il ne suffit pas de rendre visite de temps en temps à la police locale du secteur concerné ou à l’Aspa – l’Autorité de surveillance et de protection des animaux, ndlr –, qui se trouve d’ailleurs au sein même des bâtiments de la mairie. Il y a aussi l’Ansva – l’Autorité nationale sanitaire, vétérinaire, et de sécurité des aliments, ndlr –, les seuls à savoir gérer les animaux, et notamment lire les codes d’identification aux oreilles des moutons, des vaches, mais aussi des chiens. On observe que le vide procédural dans cette tragédie est imputable à plusieurs de ces institutions. Par ailleurs, que fait la police locale qui est censée faire respecter la loi ? Apparemment, un policier local ne peut pas entrer dans la cour d’une maison privée. Et s’il entre, il n’a de toute façon pas d’appareil pour lire le code d’identification placé à l’oreille d’un chien. Les protocoles entre institutions n’existent pas. Seule la police nationale est autorisée à pénétrer dans la cour d’une maison privée, où elle a d’ailleurs pu constater après le drame du 21 janvier qu’un chien dangereux s’y était réfugié, sans code d’identification et non stérilisé. Ces chiens sont assis dehors, près des clôtures, personne ne les surveille. La tragédie récente montre que plusieurs choses ne vont pas. Elles sont laissées en suspens, dans le doux style roumain, si l’on peut dire… Nicușor Dan a fait allusion à ces problèmes, mais sans s’imposer dans une conversation politique et publique. Or, s’imposer fait aussi partie de la mission d’un politicien local. Il faut s’affirmer, être un leader et conquérir le podium. Si vous ne pouvez pas le faire, vous n’obtiendrez pas de résultats, peu importe à quel point vous êtes gentil, travailleur et honnête.
Le maire a-t-il toutefois réussi à s’entourer des bonnes personnes ? L‘année dernière, lorsque nous avons une première fois parlé de l’administration de la ville*, vous disiez qu’un seul homme ne peut pas résoudre les problèmes d’une capitale comme Bucarest…
On ne le sait pas, il ne dit rien. On sait juste qu’il a la majorité au Conseil local, et c’est une vraie performance politique, on ne peut pas le nier. Il a fait passer ses budgets, c’est important. Dans toutes les localités roumaines, en tant que maire, vous ne pouvez rien faire sans le Conseil, vos décisions ne passent pas. Or, lui, il a réussi, bien que son protecteur politique, l’homme du PNL avec qui il avait négocié cette majorité, Ludovic Orban, ne soit plus présent dans la sphère du pouvoir des libéraux. Tant bien que mal, Nicușor Dan a survécu à Ludovic Orban. Son problème est qu’il n’arrive pas à rallier la population de Bucarest à ses côtés. Dans une démocratie, il faut dire aux gens ce que l’on fait, les convaincre, éventuellement les inspirer, proposer des visions d’avenir. Pas seulement réparer je ne sais combien de kilomètres de conduite d’eau chaude par semaine et rééquilibrer le budget.
Propos recueillis par Carmen Constantin.