Entretien réalisé le lundi 26 février en fin de journée, par téléphone et en roumain.
La coalition au pouvoir semble attendre la toute dernière minute pour établir un calendrier électoral définitif en cette année riche en scrutins. Nouveau décryptage de la situation politique avec Sorin Ioniţă, président du groupe de réflexion Expert Forum…
En l’absence de décision officielle, nous savons pour l’instant que les élections européennes et locales devraient avoir lieu le même jour, le 9 juin, alors que la présidentielle est prévue pour septembre et que les législatives se tiendront en décembre. Qui pourrait tirer profit de ce calendrier ?
Tout d’abord, je préciserais que cette fusion d’élections au mois de juin ne signifie pas grand-chose. Il est vrai qu’elle évite au PNL une confrontation directe avec son propre électorat. C’est d’ailleurs la principale réussite du parti présidentiel, étant donné qu’il est sur une liste commune avec le PSD. Cela lui permet de sauver les meubles quelques mois de plus. Car le PNL est mal en point dans les sondages, il n’est donc pas surprenant qu’il essaye de repousser les échéances, y compris en interne, au sein même du parti. Par contre, je ne vois pas très bien ce que le PSD gagne avec cette fusion. En échange, il exige que l’élection présidentielle soit avancée, mais cela n’a pas vraiment de logique. Ils ont d’abord mis en avant des économies d’argent ; or, il n’y en a pas. Ils ont ensuite évoqué la lassitude des électeurs, mais là encore, cela ne tient pas debout s’ils proposent d’organiser l’élection présidentielle en septembre. Celle-ci aurait tout aussi bien pu avoir lieu en même temps que les législatives. Quoi qu’il en soit, il est difficile de saisir la portée de toutes ces interminables négociations. D’autant que l’argument de la menace extrémiste ne fait pas sens non plus. AUR ne devrait pas remporter de francs succès aux élections européennes. En revanche, sa campagne très nationale et très présente sur les réseaux sociaux pourrait profiter à ses candidats lors des municipales. Il y aura certainement des maires issus de ce parti, ainsi que des conseillers municipaux et généraux.
Quelle est la situation dans les grandes villes ? Voyez-vous des candidats un tant soit peu assurés de la victoire ? Les derniers sondages pour Bucarest place le maire actuel, Nicușor Dan, en tête….
Rien n’est encore dessiné. Et là encore, je ne vois pas trop quelles sont les intentions réelles de la coalition. Il est donc difficile d’évaluer les chances de chacun. Même chose à Timișoara ou à Brașov où les deux partis, le PNL et le PSD, ont bien sûr l’intention de se débarrasser des indésirables d’USR. Quant à Emil Boc et Ilie Bolojan – respectivement les leaders PNL à Cluj et à Oradea, ndlr –, ils sont devenus des espoirs déçus du parti, et ne sont plus tout jeunes. Mais pour revenir sur l’ensemble de ces élections, de façon générale, je pense que de nombreux leaders libéraux se demandent ce qu’il y a de si désagréable à diriger le pays avec un PSD moins radical, sans idéologie et reposant strictement sur un système clientéliste. Car sur la question de savoir ce qui sépare vraiment le PNL du PSD dans le fond, la vérité est qu’il n’y a plus grand-chose.
Ce qui se passera le 9 juin donnera-t-il le ton de l’année électorale ? Ou s’agit-il plutôt d’une première étape avant que les choses n’évoluent différemment par la suite ?
Comme vous le mentionnez, les choses peuvent évoluer différemment. Vu que la coalition n’a pas encore défini de réelle stratégie pour la présidentielle ni de calendrier pour l’ensemble de l’année, et que les deux partis misent sur un score commun dans les urnes, il est difficile de prédire un scénario. D’un côté, cette formule de collaboration pourrait bien se poursuivre jusqu’aux législatives. De l’autre, il faudra bien que le PSD et le PNL prennent une décision concernant la présidentielle, ils n’auront pas le choix. Sur le fond, je ne vois pas pourquoi ils continuent de penser que le fait de s’unir leur rapportera davantage que la somme des deux partis. D’autant qu’il n’est pas impossible que les électeurs du PSD passent du côté d’AUR, et que ceux du PNL ne votent pas, voire plébiscitent USR. L’incertitude demeure, il est risqué et très difficile de faire des pronostics, qui plus est dans un pays comme la Roumanie où les partis se comportent plutôt de manière irrationnelle.
Propos recueillis par Carmen Constantin.
À lire ou à relire, notre précédent entretien sur le contexte politique en Roumanie en ce début d’année électorale avec le sociologue Ioan Hosu de l’université Babeș-Bolyai de Cluj (« Regard, la lettre » du samedi 20 janvier 2024) : https://regard.ro/ioan-hosu/
Également, à lire ou à relire, notre précédent entretien avec Sorin Ioniţă sur l’action du maire de Bucarest Nicușor Dan (« Regard, la lettre » du samedi 4 février 2023) : https://regard.ro/sorin-ionita-3/