Entretien réalisé le vendredi 12 janvier dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
Tour d’horizon des enjeux électoraux de cette nouvelle année avec Ioan Hosu, sociologue et professeur à l’université Babeș-Bolyai de Cluj…
De quelle manière les grèves et manifestations qui ont lieu actuellement dans le pays pourraient-elles influencer les élections à venir* ?
Sur le fond, je ne pense pas que cela changera grand-chose pour les partis politiques, même s’ils seront sans doute obligés d’adopter des positions plus marquées. Ce à quoi nous assistons ici est similaire aux manifestations en Pologne, en France et en Allemagne ; il s’agit de mouvements sociaux qui tentent d’influencer l’agenda public. Force est de constater que certains politiciens roumains de l’opposition ont essayé de capitaliser sur cette gronde, mais leurs tentatives ont jusqu’à présent échoué. Ces vagues de mécontentement alimentent surtout les débats politiques, publics et médiatiques, et peuvent clarifier les positions de chacun. Leurs initiateurs n’obtiennent pas toujours gain de cause, en revanche ils y gagnent dans le sens où des politiques publiques peuvent être mises en place suite à certaines propositions. À court et à moyen terme, cela peut jouer en leur faveur. Ici comme ailleurs, ces formes de manifestation font partie de l’exercice démocratique, elles sont plutôt saines, à condition qu’il n’y ait pas de débordements.
* La Roumanie célèbrera quatre élections en 2024 : locales, législatives, européennes et présidentielle.
Voyez-vous la société roumaine éventuellement basculer du côté des partis extrémistes ?
En cette année électorale, il est certain que le système démocratique roumain dans son ensemble sera mis à l’épreuve. Notez qu’il y aura aussi des élections dans plus de 60 pays, en Inde, aux États-Unis, et dans d’autres pays de l’Union européenne. Toutes ces élections vont influencer l’avenir de plus de 4 milliards de personnes. Le danger de l’extrémisme se manifeste déjà en Europe, nous voyons ce qu’il se passe en Hongrie et ailleurs sur le continent, notamment en Pologne, où, après la victoire électorale de Donald Tusk – Premier ministre depuis fin 2023, ancien président du Conseil européen de 2014 à 2019, ndlr –, d’importantes manifestations de l’opposition nationaliste ont eu lieu. Je pense que ces mouvements ont en commun un populisme latent qui s’est radicalisé. Ce courant a désormais trouvé ses leaders et ses thèmes de prédilection, c’est le cas également en Roumanie. La pandémie, la guerre en Ukraine, certaines menaces hybrides, les tentatives de déstabilisation et les conflits armés, nombre d’entre eux initiés par la Russie et la Chine, tout cela a ouvert des brèches dans l’ensemble des sociétés démocratiques qui sont exploitées par les idées extrémistes. Ces dernières se retrouvent bien sûr chez nous parce qu’elles se nourrissent aussi de l’insatisfaction, d’un coût de la vie qui ne cesse d’augmenter et d’autres facteurs renforçant les positions radicales. Les réseaux sociaux ne font qu’accentuer le phénomène. La société roumaine se confronte donc à un risque que je qualifierais de majeur ; certains vont s’attacher à reproduire ces recettes à succès basées sur la désinformation et les discours de haine.
Les ONG tentent toutefois de promouvoir un autre type d’agenda public en mettant en avant des projets bénéfiques pour la société. Pensez-vous qu’elles pourraient se transformer en initiatives politiques ?
Le rôle des ONG est de proposer des approches alternatives, innovantes et efficaces lorsque des problèmes existent au sein d’une communauté ou dans la société. L’État fait ce qu’il peut mais, en général, il a toujours un train de retard, ici comme partout ailleurs. En Roumanie, les jeunes qui s’activent dans la société civile ont une approche différente, plus créative, et cela a indéniablement eu un impact positif sur la sphère politique ces cinq, six dernières années. Malheureusement, ces initiatives ne sont pas très durables sur la scène politique, un lieu où le groupe et les mécanismes de pouvoir sont à l’œuvre, et fonctionnent très bien. Dans le fond, la discipline de parti s’avère plus importante que la créativité… D’un autre côté, nous avons également vu des ONG qui ont gagné la confiance du public et se sont ensuite lancées en politique. C’est le cas avec le maire de la capitale qui vient lui-même d’une ONG. Mais d’après moi, le rôle des ONG est surtout de proposer des alternatives de politiques publiques et d’initier des processus de changement. Je ne crois pas que la transformation d’ONG en partis soit une solution, cela pourrait aussi discréditer d’autres entités non gouvernementales. Fondamentalement, si la confiance dans des institutions démocratiques telles que les partis est perdue, c’est qu’il y a un vrai problème de fond. L’autoritarisme étend alors sa toile, et nous voyons bien à quoi cela mène en Hongrie.
Propos recueillis par Carmen Constantin.