Entretien réalisé le mardi 27 février en milieu de journée, par téléphone et en roumain.
Nouvelle discussion avec Oana Neneciu, directrice du Centre pour les politiques durables Ecopolis et coordonnatrice de la plate-forme Aerlive. Elle livre ici son analyse des actions entreprises visant à améliorer la qualité de l’air à Bucarest…
Pouvez-vous revenir sur l’annonce de la Garde de l’environnement en début de semaine qui dit vouloir sanctionner d’une amende de 30 000 euros la mairie de Bucarest à cause de la pollution de l’air ?
En premier lieu, je mentionnerais que la Garde de l’environnement – sous l’autorité du ministère de l’Environnement, ndlr – n’est guère active en matière de contrôle et d’identification des sources de pollution dans la capitale, bien qu’elle devrait s’en occuper. La seule chose qu’elle fait consiste à s’en prendre à la mairie, comme en ce début de semaine. Bucarest ne dispose pas d’un plan intégré de gestion de la qualité de l’air afin de lutter contre la pollution. En l’absence d’un tel plan, assumé et mis en application par la mairie, ces amendes ne se fondent sur rien et sont donc contestables. La Garde de l’environnement ferait mieux d’effectuer des contrôles sur le terrain et de sanctionner, entre autres, les personnes qui brûlent toutes sortes de déchets illégalement. C’est courant à Bucarest et dans sa périphérie, et c’est d’ailleurs ce qu’ont signalé plusieurs résidents le week-end dernier. Ils ont averti les ONG et ont aussi saisi la Garde de l’environnement. Laquelle, au lieu de s’occuper de ces problèmes, rejette la faute sur la mairie.
Dans ces conditions, difficile de dire que les institutions poursuivent un but commun en matière de réduction de la pollution…
Effectivement. Le problème de fond, cette inaction en somme, demeure le même depuis toujours et il est d’ordre politique. Ce type de plan que j’évoquais existe dans des villes où les indices de pollution dépassent certains seuils prévus par la loi ; c’est très bien mis en place dans les autres pays européens. Or, chez nous, cela n’existe pas. La Commission européenne nous a déjà adressé six procédures d’infraction parce que la Roumanie ne respecte pas la loi en matière de qualité de l’air. D’une part, nous n’effectuons pas les contrôles nécessaires ; d’autre part, nous ne respectons pas les seuils légaux. Sans oublier notre incapacité à fournir à Bruxelles un plan industriel à l’échelle nationale. Les problèmes sont multiples. Pour revenir à la capitale, Bucarest ne dispose pas non plus d’un plan dit de « zones à circulation restreinte » visant à réduire le trafic automobile. À ma connaissance, elle est la seule au sein de l’UE, toutes les autres grandes villes en ont un. La circulation automobile représente 60% de notre pollution, quand le chauffage résidentiel, particulièrement inefficace par ailleurs, en est responsable à hauteur d’environ 30%. Heureusement, il n’y a plus trop de pollution industrielle à Bucarest, mais la géographie ne nous aide guère. Certes, nous ne sommes pas dans une cuvette, toutefois la capitale, au cœur d’une immense plaine, est en permanence parcourue par des particules de poussière.
Pourtant, c’est bien Milan qui a été récemment désignée ville la plus polluée de l’UE…
Sans doute, mais voyez-vous, la mairie de Milan est déjà passée à l’offensive pour réduire la circulation automobile. Londres a fait la même chose par le passé. Ces villes, plus grandes, ont été confrontées à des problèmes de pollution bien plus importants que Bucarest. L’année dernière, avec mes collègues de Aerlive, nous avons échangé avec la mairie de Paris pour comprendre comment ils avaient procédé afin d’inverser la tendance. Nous avons alors réalisé que la solution était bien la mise en place de ces zones à circulation restreinte. Cela prend environ dix ans pour obtenir des résultats, mais ils ont réussi. Paris est parvenue à éliminer les véhicules polluants, la ville restreint aussi la circulation dans certaines zones en cas de pic de pollution, et elle empêche les véhicules lourds de circuler par endroits. Quant à la limitation de vitesse à 30 km/h, elle a été établie dans de nombreuses villes européennes. Il y est également interdit de laisser le moteur de sa voiture tourner quand on est à l’arrêt. Ces mesures ont un impact positif réel. Ici, rien de tout cela n’existe. Ceci étant, les choses comment à bouger. L’année dernière, le parlement roumain a voté une loi sur la mobilité urbaine, laquelle va obliger les villes à mettre en place ces zones à circulation restreinte. La loi prévoit une période de mise en conformité avec le texte de deux ans. Sur le papier, c’est très bien, reste à voir comment cela sera suivi, car nous avons un déficit d’éducation sur ces questions, et ce type de mesures n’est pas populaire. Il faudra l’accompagner d’une campagne de sensibilisation. Au chapitre des progrès, je retiens également qu’aux dernières municipales, dans la capitale, les trois premiers candidats faisaient tous d’une meilleure qualité de l’air l’une de leurs principales promesses. L’idée fait donc son chemin. En atteste aussi l’accent mis sur les transports en commun par la municipalité actuelle. Ou encore l’installation de systèmes de mesure de la qualité de l’air près de 44 écoles et hôpitaux bucarestois, projet auquel Ecopolis a contribué en collaboration avec la mairie.
Propos recueillis par Benjamin Ribout.
À lire ou à lire, notre premier entretien avec Oana Neneciu sur la qualité de l’air à Bucarest (« Regard, la lettre » du samedi 6 novembre 2021) : https://regard.ro/oana-neneciu/