Sorin Ioniță, expert en réforme de l’administration publique, travaille pour le groupe de réflexion Expert Forum. Il livre ici son point de vue sur la gestion de la municipalité de Bucarest…
Cela fait maintenant environ un an que Nicușor Dan est aux commandes de la capitale roumaine. Selon vous, qu’est-ce qui a changé dans la ville, et quelle est la perception des citoyens concernant l’activité du maire ?
Tout d’abord, ce qui a changé, c’est l’orientation générale de la politique municipale, et le fait que personne ne conteste l’honnêteté du maire, contrairement à l’administration précédente. Le problème est la performance, ce qui a véritablement abouti et ce qui reste à faire. À mon sens, le maire de Bucarest ne peut pas se cantonner à un rôle de technocrate. Il doit être un leader politique, et sa présence dans l’espace public doit inspirer la communauté et générer des projets. S’enterrer dans un sous-sol pour résoudre les problèmes est un travail de fonctionnaire. Or, jusqu’à présent, aucun des grands projets dont Bucarest a besoin ne semble se mettre en place, c’est-à-dire un système coordonné de collecte sélective des ordures pour les six secteurs de la capitale, un système de gestion du trafic, ou encore une vision pour la rivière Dâmbovița. Toutes ces choses devraient remplir l’espace public, le maire général devrait être davantage présent dans la presse, de façon hebdomadaire, faire le tour des quartiers, et lancer des débats publics sur tous ces grands projets. La ville en a besoin, cela fait vingt ans qu’elle manque de telles initiatives. Certes, Nicușor Dan travaille beaucoup, il essaie d’équilibrer le budget, de payer les factures, etc. Mais après quatre années où il aura travaillé comme une fourmi, le danger est qu’il remettra les clés de l’administration municipale à un autre maire, qui sera évidemment du PSD (Parti social-démocrate, ndlr).
Plusieurs problèmes majeurs persistent, effectivement. Les pannes de chauffage, une circulation impossible, l’état déplorable de certains parcs publics…
Je pense qu’on pourrait faire plus pour les parcs. Mais il y a eu cette bataille avec les sociétés municipales mises en place par l’ancienne administration. Encore une fois, si vous vous battez comme un soldat japonais dans les tranchées, et que très peu de gens remarquent ce que vous faites, ce n’est pas bon politiquement. Quant aux autres problèmes, nombre d’entre eux ne peuvent pas se résoudre dans un temps court. Ce que Ceaușescu a détruit de 1975 à 1989 n’a été qu’en partie reconstruit après dix ans, et beaucoup en ont payé les frais. L’administration municipale actuelle est face au même défi ; tant Sorin Oprescu que Gabriela Firea – les deux anciens maires, ndlr – ont financé des projets dans le seul but de faire croître leur popularité, en négligeant ce qui était important, c’est-à-dire les investissements dans les grandes infrastructures. Aujourd’hui, il faut tout rattraper et réparer, mais d’une manière ou d’une autre, vous devez communiquer avec les gens et dire ce que vous faites. Tout comme Traian Băsescu a mis de l’argent, en son temps, sous l’asphalte de la ville, dans les égouts, dans ces choses misérables qui coûtent cher et qui ne sont désormais plus visibles. Mais ça a marché. De la même façon, Nicușor Dan doit réparer les tuyaux de distribution d’eau chaude et s’assurer que le système fonctionne. Néanmoins, il ne peut pas faire que ça pendant ses quatre années de mandat. Sinon, le risque est qu’un autre arrive et recommence à jeter l’argent par les fenêtres.
Comment résoudre le problème des immeubles trop hauts qui détruisent le paysage urbain ? Et de certaines rénovations qui mettent en péril le patrimoine architectural de Bucarest ?
De ce point de vue, on mise à cent pour cent sur Nicușor Dan, c’est d’ailleurs sur ce point qu’il a fait toute sa carrière au sein d’ONG. Il a réussi à arrêter, ne serait-ce qu’un temps, les énormités construites à Bucarest. Ceci étant, comment un seul homme peut-il gérer au quotidien tout ce qui doit être approuvé ou pas ? Certes, il est compréhensible qu’après tant d’années d’impunité dans le secteur immobilier, quand on signe des documents de sa main, on veut s’assurer que tout va bien se passer, on ne fait plus confiance à personne au sein d’un système qui a été autant corrompu. Mais il faut absolument trouver un moyen pour que le maire se débarrasse de ces tâches, et devienne le leader de la communauté. Un modèle technique devrait faire ce travail de cuisine. Le maire ne peut pas vérifier les coefficients d’occupation des sols pour chaque proposition d’ouvrage.
Propos recueillis par Carmen Constantin.