Entretien réalisé le mercredi 1er février dans la matinée, en français, au studio de RFI Roumanie de Bucarest.
Nouvel échange avec Sergiu Mișcoiu, professeur de sciences politiques à l’université Babeș-Bolyai de Cluj-Napoca, qui cette fois-ci parle du véto autrichien à l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie au sein de l’espace Schengen, du parti extrémiste FPÖ, et de l’évolution migratoire à long terme…
Dimanche 15 janvier, le commissaire européen au Budget et à l’Administration Johannes Hahn a déclaré qu’il s’attendait à ce que Vienne lève son veto à l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l’espace Schengen en temps voulu, lui permettant ainsi de rétablir son image. Qu’en pensez-vous ?
Je crois que la Commission européenne a toujours mis une pression constante sur les Pays-Bas et l’Autriche pour qu’elles changent d’avis sur l’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie au sein de l’espace Schengen. La déclaration du commissaire Hahn n’a donc rien de surprenant. D’un autre côté, quand il spécifie que le véto autrichien sera levé « en temps voulu », cela sous-entend que ces pressions de l’UE sont proportionnelles à la capacité institutionnelle de la Commission européenne, qui ne peut influer de façon trop directe sur les décisions des États membres dans certains domaines. Je lis aussi dans les déclarations de Johannes Hahn un peu de résignation suite aux efforts pour dissuader le gouvernement autrichien de maintenir son véto. D’autant que ce véto est surtout une manœuvre politique de la part du gouvernement autrichien face aux scrutins électoraux en cours dans le pays.
Mais cela n’aura apparemment pas suffi, l’extrême droite autrichienne étant sortie très renforcée après les élections régionales de dimanche dernier…
Effectivement. Le tableau en Autriche est le suivant… Le parti au pouvoir, l’ÖVP, est membre du Parti populaire européen, il s’agit d’une formation néo-conservatrice, chrétien-démocrate, disons de centre-droit, dirigée par le chancelier Karl Nehammer. Ils sont en coalition avec un parti écologiste de centre-gauche favorable à l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à Schengen, et ouvert en matière d’immigration. Face à eux, comme vous l’avez mentionné, il y a cette opposition d’extrême droite, le fameux parti FPÖ qui s’était déjà fait remarquer à la fin des années 1990 quand il est entré dans une coalition gouvernementale avec Wolfgang Schüssel, le chancelier ÖVP de l’époque. Cela avait d’ailleurs amené l’Union européenne à sanctionner l’Autriche. Puis, suite au décès de son leader historique Jörg Haider en 2008, le FPÖ a disparu de la carte. Avant de revenir en force aujourd’hui, profitant des nombreuses crises qui ont marqué le pays, je pense notamment aux affaires de corruption qui ont provoqué la démission du jeune chancelier Sebastian Kurz en octobre 2021. Ce parti extrémiste fait désormais pression sur l’ÖVP du chancelier Nehammer, ce dernier commettant la faute que beaucoup de politiciens de centre-droit commettent en Europe, c’est-à-dire qu’il essaie de siphonner l’électorat d’extrême droite afin de ne pas perdre ses propres partisans un peu conservateurs ayant une sensibilité plus nationaliste. En vain. Comme vous l’avez dit, le FPÖ est sorti vainqueur des dernières élections régionales, et risque de devenir le premier parti autrichien en 2024. Avec le thème de l’immigration en fer de lance de son discours, à l’instar d’autres partis extrémistes en Europe.
Précisément, comment voyez-vous l’évolution des flux migratoires en Europe à moyen, long terme ? Y aura-t-il davantage d’émigration vers la Roumanie ?
Cela dépendra d’abord de l’évolution de la guerre en Ukraine. Pour être en contact avec des étudiants français désireux de venir étudier ici, nombre de familles sont inquiètes et rechignent à envoyer aujourd’hui leurs enfants à l’est de l’Europe. Plus généralement, cela dépendra aussi des conditions de vie proposées en Roumanie et dans les pays de la région. Actuellement, on observe une nette polarisation entre le milieu urbain et le milieu rural ; sans surprise, les villes roumaines attirent toujours plus de ressortissants étrangers, des occidentaux notamment. Mais à mon avis, sur le long terme, l’immigration en Roumanie aura une autre origine, elle viendra des pays du sud où la pression démographique est très forte, avec une population beaucoup plus jeune qu’en Europe. Logiquement, cette population de l’Afrique subsaharienne et du Sahel en particulier, de moins en moins bien accueillie en Europe de l’Ouest, se tournera vers l’Europe de l’Est. À mon sens, on doit voir cette tendance de façon positive, nombre de ces jeunes nous seront bien utiles. Dans les années 1960 et 1970, la France a été rebâtie par des personnes issues de l’immigration.
Propos recueillis par Olivier Jacques.
À lire ou à relire, notre précédent entretien avec Sergiu Mișcoiu sur les relations entre la Roumanie et la Hongrie (« Regard, la lettre » du samedi 26 novembre 2022) : https://regard.ro/sergiu-miscoiu-3/