Entretien réalisé le vendredi 12 mai en fin de journée, en français, au studio RFI Roumanie de Bucarest.
Décryptage du système politique roumain et des conséquences de ses lacunes avec Raluca Alexandrescu, maître de conférences à la Faculté de sciences politiques de l’Université de Bucarest…
Comment jugez-vous l’état de la démocratie en Roumanie ?
En premier lieu, je dirais qu’il y a un sentiment croissant de propagande antiparlamentariste. Le Parlement roumain n’est plus ce qu’il devrait être, c’est-à-dire le lieu de l’exercice suprême de la souveraineté, du pouvoir législatif. Il est plutôt devenu une scène où différents acteurs plus ou moins légitimes propagent leurs discours et leurs messages souvent démagogiques et populistes. Par ailleurs, il s’agit d’un Parlement bicaméral, avec un Sénat et une Chambre des députés qui se complètent mal, leurs compétences se télescopent souvent. On a essayé de modifier un peu les lois organiques de la Constitution, mais le résultat n’est pas convaincant. Le problème est que cette Constitution, qui a émergé en 1991 suite à la révolution, est un peu hybride. Elle a certes été modifiée en 2003 afin de se caler aux prérogatives de l’Acquis communautaire en vue de l’adhésion à l’Union européenne, tout en restant une Constitution conçue au lendemain de la chute du régime communiste. À plusieurs égards, elle se rapproche de la Constitution de la 5ème République française, bien que les pouvoirs du président de la Roumanie soient moins importants, il s’agit d’un régime semi-présidentiel. En ce sens, le président est obligé de collaborer étroitement avec le Parlement pour le choix du Premier ministre, ainsi que tout au long de son mandat.
Quand on voit ce qu’il se passe dans d’autres pays d’Europe où des dirigeants peuvent abuser de leur autorité, cette structure du pouvoir semble plutôt saine…
Théoriquement, oui. Mais la tyrannie peut avoir beaucoup de visages et d’acteurs. Il ne suffit pas de concevoir une Constitution qui freine les intentions du président. Il s’agit aussi et surtout de mettre en place un système démocratique qui ne facilite pas la propagation des idées les plus extrémistes. Or, notre Constitution actuelle n’a pas su consolider le Parlement, elle ne nous a pas protégés contre les abus, la propagande. De fait, l’antiparlementarisme est assez pathologique du régime politique roumain d’après 1989. Conséquence, aujourd’hui, des forces politiques plus ou moins officielles sont en mesure d’influencer l’agenda de l’exécutif. L’éducation en est un bon exemple. Le ministère de l’Éducation a récemment éliminé la logique et la psychologie au lycée des projets de loi sur l’éducation, tout en introduisant la religion comme discipline optionnelle au baccalauréat. Quelle incongruence en ce début de 21ème siècle… Cela montre à quel point le discours identitaire et nationaliste prend toujours plus ses marques en Roumanie. D’autant plus en cette période troublée, avec une inflation forte, la guerre en Ukraine, etc.
Que pensez-vous des médias roumains ?
À part quelques exceptions, comme Recorder, la plupart des médias roumains, et les télévisions en particulier, sont devenus des outils politiques. Via des sociétés, les partis les financent, c’est un fait clairement établi. Et puis il y a les réseaux sociaux… Plusieurs études montrent que la façon dont leurs algorithmes sont construits favorisent les discours extrémistes. Heureusement, je vois que mes étudiants sont toujours plus critiques par rapport à ce qu’ils lisent, nous leur enseignons également comment s’informer. On leur apprend comme atterrir, pour citer le philosophe français Bruno Latour, comment se poser. Mais ils ne représentent pas la majorité. Une grande partie de la population roumaine est appauvrie, peu éduquée, et donc captive des discours nationalistes radicaux, « orthodoxistes » et conspirationnistes. L’armée et l’Église restent les deux institutions les plus appréciées par les Roumains. Le chemin vers une social-démocratie équilibrée et mature est encore long.
Propos recueillis par Olivier Jacques.
À lire ou à relire, notre précédent entretien avec la politologue Silvia Marton qui complète bien les propos de Raluca Alexandrescu (« Regard, la lettre » du samedi 22 avril) : https://regard.ro/silvia-marton-5/