Analyse du marché du livre en Roumanie avec Oana Doboși, co-fondatrice de la librairie indépendante « La două bufnițe » (Aux deux chouettes) à Timișoara…
Est-ce que les Roumains lisent par rapport aux autres Européens ?
À ma connaissance, les Roumains sont parmi les lecteurs les moins assidus d’Europe. Pour y remédier, selon moi il faudrait d’abord que les ministères de l’Éducation et de la Culture s’impliquent davantage afin de soutenir le marché du livre, en instaurant notamment une législation plus favorable. Cette année, la France fête les quarante ans de la mise en place de la loi Lang* imposant un prix unique du livre. Un acte visant à favoriser la diversité culturelle, l’offre éditoriale et l’existence des librairies indépendantes. Chez nous, ces dernières doivent lutter contre les réductions à tout va des librairies en ligne. Une bataille totalement injuste. Ceci étant, je veux être plutôt optimiste ; depuis l’ouverture de notre librairie il y a cinq ans, notre communauté de lecteurs n’a cessé de croitre.
* La loi n° 81-766 du 10 août 1981, dite loi Lang, impose un prix unique du livre fixé par l’éditeur dans le but de protéger la filière et de développer la lecture.
Quelles sont les préférences des lecteurs roumains ? Et de quelle manière ces préférences ont-elles évolué ces dernières années ?
D’après les classements que nous réalisons une fois par mois, la fiction et la littérature de jeunesse sont en tête des ventes. Pour les livres de fiction, ce sont plutôt les traductions qui prennent le dessus. Dans notre librairie, le livre du mois d’avril fut Le dernier été en ville, de l’Italien Gianfranco Calligarich, un roman paru en 1973 resté méconnu jusqu’à aujourd’hui. La littérature roumaine n’est pas suffisamment encouragée. Nous n’avons pas de prix comme le Goncourt, par exemple, qui génère beaucoup de ventes. Par ailleurs, pour que la littérature roumaine contemporaine s’affirme, il faudrait d’abord que les éditeurs croient vraiment en tous ces auteurs qu’ils publient. Or, ici l’éditeur donne plutôt l’impression de faire une faveur à l’auteur en le publiant. Mais les livres ne sont pas des produits quelconques, on doit leur accorder du temps.
Le livre sera-t-il toujours plus numérique ?
L’avenir du livre est remis en question depuis l’invention de la radio et de la télévision. Mais tant qu’on continuera à lire, peu importe la façon dont on le fait. En Roumanie, le vrai problème est qu’il y a un très grand nombre de villages et de petites villes où il n’existe pas de bibliothèque ni de librairie. Des communautés entières se voient refuser l’accès à la lecture. Avec mes collègues, nous avons déjà fait don de livres aux bibliothèques des écoles du département de Timiș. Et nous ne sommes pas les seuls à le faire. Mais il faudrait que les autorités s’y mettent également.
Propos recueillis par Ioana Stăncescu.
Sur le même thème, lire l’entretien avec Virginia Lupulescu de la maison d’éditions Trei, édité en février dernier : https://regard.ro/virginia-lupulescu/