Virginia Lupulescu est éditrice et chargée de communication pour la maison d’éditions Trei. Elle a notamment édité en roumain The New York Times Book Review, le célèbre supplément littéraire du New York Times, et a jeté les bases de la plus grande librairie virtuelle de Roumanie, elefant.ro…
Comment la maison d’éditions Trei fait-elle face à la crise sanitaire ?
Dans un premier temps, ce fut très difficile. Les librairies ont dû fermer leurs portes du jour au lendemain, ce qui a pratiquement bloqué les ventes. Du coup, les maisons d’édition ont été obligées de se réinventer et de se tourner davantage vers le numérique. On a donc optimisé notre site et fidélisé les lecteurs à travers une communication renforcée, tout en peaufinant nos compétences en ligne. Pendant quatre mois, on s’est concentrés plutôt sur la relation avec les lecteurs et moins sur les ventes et le profit. Une stratégie qui nous a finalement permis de sortir de cette première période très instable, et de lancer en septembre dernier une nouvelle collection.
Qu’apporte cette nouvelle collection sur le marché littéraire roumain ?
On doit la collection Anansi à Bogdan Alexandru Stănescu, sans doute le meilleur coordinateur d’éditions du moment sur le marché roumain. Récemment arrivé chez Trei depuis les éditions Polirom, il a renouvelé notre ancienne collection de littérature étrangère en l’enrichissant de noms d’auteurs très en vogue et de best-sellers. Parmi les écrivains français, notons Marc Lévi, Guillaume Musso, Pascal Bruckner ou Frédéric Beigbeder. Nos journées commencent par un tour d’horizon de la presse éditoriale de l’étranger, nous contactons les agents littéraires et les scouts – chasseurs d’ouvrages à succès, ndlr –, nous cherchons les titres qui se distinguent et se vendent bien ailleurs. Puis nous réalisons des études de marché pour analyser l’impact qu’un manuscrit pourrait avoir auprès du public roumain. Dans le cas d’un texte convoité par plusieurs maisons d’édition, un appel d’offre est lancé, c’est le meilleur qui l’emporte. Plus que de prix, il s’agit surtout de proposer la meilleure stratégie marketing.
Quelle place les auteurs roumains occupent-ils dans les préférences du public ?
À la différence des grands pays occidentaux comme la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou l’Italie, les auteurs autochtones n’ont pas de public fidèle prêt à les suivre, à participer à leurs lancements et à acheter leurs nouveaux titres. On parle d’un marché littéraire très mince, où le nombre de ceux qui achètent constamment des livres se situe autour de 200 000 personnes. Pour la majorité des Roumains, le livre est un produit occasionnel, voire un heureux accident. D’ailleurs, que ce soit sur Bucarest ou dans d’autres villes, le public des salons littéraires est toujours le même. Ceci étant, la pandémie a apporté quelque chose de positif, elle a offert davantage de visibilité à ces auteurs. Pour revenir à votre question, les Roumains ont des préférences assez claires en matière de littérature autochtone. Ils sont particulièrement friands de livres d’auto-fiction, c’est-à-dire inspirés d’histoires de vie réelles où l’auteur s’investit lui-même. C’est ce qui a fait le succès des romans de Raluca Feher, Camelia Cavadia ou Liviu Iancu, trois de nos auteurs les plus connus.
Propos recueillis par Ioana Stăncescu.