Entretien réalisé le lundi 6 juin en fin d’après-midi, par téléphone et en roumain.
Nicoleta Lefter est comédienne au Théâtre Odeon de Bucarest. Elle parle ici du statut de comédien en Roumanie, et de la place du théâtre dans la vie des Roumains…
Que peut-on dire du statut de comédien ?
Déjà, qu’il est flou. On parle d’un métier qui n’est pas considéré comme indispensable. C’est mon sentiment. Par exemple, dernièrement, la mairie a fait des coupures dans les budgets des théâtres de Bucarest et, du coup, des projets déjà commencés ont été reportés ou annulés. La culture, tout comme l’éducation, se voient attribuées des enveloppes budgétaires proportionnelles à l’importance qu’on leur accorde, c’est-à-dire, insuffisantes. Et pourtant, il y a là un paradoxe. Malgré un statut instable, le métier de comédien continue à attirer énormément de jeunes. Aujourd’hui, le pays se confronte à une inflation de comédiens. Il y a beaucoup d’étudiants dans les facultés de théâtre, tandis que les postes sont bloqués et que les jeunes diplômés ont du mal à trouver du travail.
Comment se déroule une journée ordinaire dans votre vie de comédienne ?
Ma journée commence par quelques heures consacrées à ma famille, après j’ai des répétitions, parfois des enregistrements pour des « audio-book » ou des tournages. Le soir, je monte sur les planches. Personnellement, j’ai la chance d’être une comédienne salariée et de pouvoir aussi jouer dans des théâtres indépendants. En revanche, je constate que plus les opportunités s’avèrent nombreuses pour nous, les comédiens, plus on tend à se disperser, et l’on perd de notre concentration sur scène. Selon moi, à force de faire de l’autopromotion sur Internet, et de nous impliquer dans toute sorte de projets à droite et à gauche, on prend le risque d’être moins rigoureux dans notre métier.
Qu’en est-il du rôle social et éducationnel du théâtre ?
Personnellement, je collabore avec le Centre de théâtre éducationnel Replika. Je suis particulièrement intéressée par le théâtre qui s’adresse au public jeune. Depuis quelques années, le spectateur roumain a l’air plutôt dérouté, il a du mal à se connecter aux véritables émotions. À une époque où la parole occupe une place de plus en plus grande, les messages sont trop souvent dépourvus de contenu. Il me semble donc nécessaire d’éduquer les gens et de les guider. Le théâtre éducationnel que nous pratiquons au Centre Replika propose des projets avec des thématiques d’actualité qui suscitent l’intérêt du public de façon générale, et des jeunes en particulier. C’est le cas d’un spectacle inspiré du roman de Lavinia Branişte, Interior zero, où il est question d’une jeune femme captive d’une existence banale, insignifiante, et qui, faute d’argent, se retrouve prisonnière d’une vie malheureuse. C’est un texte qui émeut beaucoup. Et c’est cette émotion qui m’intéresse. Malheureusement, je constate avec tristesse que de plus en plus de spectateurs se rendent au théâtre simplement pour se divertir, au lieu de se laisser porter par l’acte artistique.
Propos recueillis par Ioana Maria Stăncescu.
À lire ou à relire, nos deux précédents entretiens avec la comédienne Marcela Motoc (« Regard, la lettre » du 27 mars 2021 et du 20 novembre 2021) : https://regard.ro/marcela-motoc/ et https://regard.ro/marcela-motoc-2/