Entretien réalisé le samedi 4 avril dans la matinée, en roumain et au domicile de l’interlocuteur à Bucarest.
Alex Găvan est alpiniste professionnel et a créé une fondation pour protéger un poisson endémique en Roumanie, l’asprete. Rencontre…
Pouvez-vous présenter l’asprete ?
Il s’agit d’un poisson d’eau douce, une espèce vieille de plus 65 millions d’années. Il a été découvert en Roumanie en 1956, où il se trouvait encore dans trois rivières parallèles, Argeș, Vâlsan et Doamnei. Mais à cause de l’exploitation des ressources par l’homme, le poisson n’est présent aujourd’hui que sur une portion de quelques kilomètres de la rivière Vâlsan. Et il ne reste que quelques dizaines de poissons de cette espèce. Je suis originaire de la région, c’est un animal célèbre là-bas, presque mythique, car on peut difficilement le voir. On le surnomme aussi « popete » ou « sforete ».
En quoi consiste votre projet ?
À travers la fondation, nous avons établi un « plan national d’action pour sauver l’asprete », un intitulé donné sous l’égide du ministère de l’Environnement. L’implantation de ce plan se base sur quatre piliers. Le premier est de construire une base de recherche et de reproduction en captivité de l’asprete, parce qu’il risque de ne plus pouvoir vivre encore longtemps en liberté. Le deuxième pilier est de réaliser une reconstruction écologique des rivières Vâlsan, Argeș et Doamnei afin de les repeupler avec l’asprete. Ensuite, le troisième est de s’assurer que les autorités roumaines vérifient le respect de la loi, et qu’elles-mêmes respectent la loi. En effet, il arrive souvent que les lois ne soient pas respectées, même par les autorités, notamment parce qu’elles n’ont pas la connaissance ou les informations nécessaires pour les appliquer. Enfin, le quatrième pilier est lié à l’implication des communautés locales qui vivent dans cette région. Souvent, ce type de projet de conservation ne fonctionne pas bien parce qu’il ne prend pas en compte les habitants. Depuis que nous avons commencé le projet en 2019, nous sommes dans différentes phases d’implémentation de ces quatre piliers.
Quelles menaces pèsent sur l’asprete ?
La menace principale est le débit insuffisant d’eau, provoqué par la centrale hydroélectrique qui se trouve en amont. En ce moment, la compagnie exploitante est dans un processus pour obtenir une nouvelle certification. Avec les institutions roumaines, nous voulons nous assurer que les données sur le débit écologique vont être calculées en temps réel. Une autre menace pour l’asprete est l’extraction de gros rochers depuis le lit de la rivière. C’est illégal, car la rivière se trouve dans une zone strictement protégée. L’asprete est aussi menacé par la fragmentation de son habitat à cause de divers projets énergétiques initiés sous le régime communiste. La circulation des poissons n’était pas pensée pendant ces aménagements. Aujourd’hui, on essaie d’assurer la continuité de la rivière pour que l’asprete puisse se déplacer librement. Si l’habitat est fragmenté, c’est une grande menace, car la diversité génétique se réduit et cela devient une question de temps jusqu’à ce qu’il disparaisse totalement. Enfin, il y a d’autres menaces causées par l’homme, comme le rejet de déchets ou de substances nocives dans les rivières.
Propos recueillis par Marine Leduc.