Entretien réalisé le lundi 13 février dans la matinée, par téléphone et en roumain.
Suite aux séismes meurtriers en Turquie et Syrie, l’ingénieur en construction Matei Sumbasacu, fondateur de Re:Rise (Association pour la réduction du risque sismique), rappelle que Bucarest est une ville particulièrement vulnérable aux tremblements de terre…
Quelles seraient les conséquences d’un séisme important à Bucarest ?
La situation sera sans doute pire que lors du séisme de 1977, où une trentaine de bâtiments se sont effondrés. Aujourd’hui, en cas de fortes secousses, il s’agira d’une centaine voire plus, avec plusieurs dizaines de milliers de personnes qui seront blessées ou piégées sous les décombres. Ceci étant, il y a toutes sortes de scénarios possibles en cas de tremblement de terre majeur. Le problème est que ces scénarios sont basés sur des données incomplètes pour le moment. Tout d’abord, nous ne disposons pas d’informations sur tous les bâtiments et sur leur vulnérabilité face à un séisme. Ni sur les personnes qui y habitent. Ensuite, nous n’avons pas d’études sur les zones qui seraient endommagées, ou sur les artères qui seraient bloquées à la suite d’effondrements. En Roumanie, nous ne sommes pas vraiment habitués à la collecte de données, et encore moins à leur partage. De plus, les outils dont nous disposons pour évaluer les risques sismiques des bâtiments sont loin d’être parfaits. Ceci étant, depuis 2022, une nouvelle méthodologie d’évaluation visuelle rapide a été adoptée. Cela va faire avancer les choses.*
* Un audit de la Cour des comptes a également été publié en février 2022 afin d’évaluer les conséquences d’un séisme à Bucarest, et de mettre au jour les déficiences du système de protection civile.
Comment la population et les services d’urgence sont-ils préparés ?
Les associations comme la nôtre et les autorités locales jouent un rôle important. Elles font des séances de préparation avec les habitants pour expliquer ce qu’il faut faire pendant et après un séisme, ou comment préparer un kit de survie. La population est davantage consciente qu’il y a un niveau élevé de risque sismique, et adhère de moins en moins à toute la désinformation dont nous avons été victimes pendant des années. Ces mythes ont commencé suite au séisme de 1977. Le dictateur Nicolae Ceaușescu avait alors interdit la consolidation des bâtiments après le tremblement de terre, assurant à la population que tout allait bien et diffusant toutes sortes de propagandes. Beaucoup y croient encore, je pense à ce mythe selon lequel un bâtiment qui a subi deux tremblements de terre en ressort renforcé pour les prochains. Au contraire, chaque séisme fragilise les édifices. Quant aux services d’urgences, ils sont de mieux en mieux préparés. Il est très important de savoir ce que chacun d’entre nous doit faire après un tremblement de terre afin de ne pas perturber ces services d’urgences lorsqu’ils interviennent. Même si vous ne vous trouvez pas en danger immédiat, vous devez pouvoir tenir 72 heures dans votre maison, parce que vous n’aurez peut-être plus accès à l’eau, à de la nourriture ou à des médicaments. Ceci afin de ne pas encombrer les urgences qui seront concentrées sur le sauvetage de vies.
Où en est la consolidation des bâtiments à risque à Bucarest, et en quoi consiste-t-elle ?
Depuis 2022, ce n’est plus aux propriétaires de payer cette consolidation mais à l’État. Les procédures ont aussi été simplifiées. Cela va sans doute accélérer le processus, qui a été très lent jusque-là. Il existe plusieurs méthodes de consolidation d’un bâtiment. En général, il s’agit d’épaissir certains éléments de l’édifice. D’autres méthodes de consolidation consistent à ajouter de nouvelles structures métalliques, entre autres. Ou bien à renforcer les parties fragiles avec de la fibre de carbone ou des résines époxy. Un point essentiel… Ces interventions doivent se faire sur l’ensemble du bâtiment, pas seulement à certains endroits ou sur quelques étages, sinon cela ne sert à rien.
Propos recueillis par Marine Leduc.
Notes :
– Deux tremblements de terre ont eu lieu cette semaine en Olténie (sud-ouest de la Roumanie). Un premier ce lundi, d’une magnitude de 5,2 degrés sur l’échelle de Richter, et un autre mardi de 5,7 degrés. Ce dernier est le plus fort séisme enregistré dans le pays ces cinq dernières années, il a été suivi de plus de 300 répliques. Les représentants de l’Institut national de recherche sur la physique de la terre (INFP) considèrent ces tremblements de terre dans la région comme « une surprise ». Généralement, leur magnitude y est très faible, de 1 à 3 degrés sur l’échelle de Richter. Selon certains experts, les séismes en Syrie et Turquie pourraient être à l’origine de ces secousses récentes en Roumanie ; ils parlent de « stress sismique » dans la région. Par ailleurs, le chef du Département pour les situations d’urgence (DSU), Raed Arafat, a fait savoir mercredi que l’application mobile DSU dédiée aux informations sur la manière de se préparer et d’agir en cas de tremblement de terre avait été mise à jour, et a invité la population à la télécharger sur les téléphones portables.
– À lire ou à relire, notre précédent entretien avec Matei Sumbasacu sur la sauvegarde de la plus ancienne raffinerie de Roumanie à Câmpina, Prahova (« Regard, la lettre » du samedi 29 mai 2021) : https://regard.ro/matei-sumbasacu/