Entretien réalisé le mercredi 16 février dans la soirée, en roumain et par téléphone.
Andreea Lazea, professeur à la Faculté des Beaux-Arts et du Design de l’Université de l’Ouest à Timișoara, parle du frémissement culturel palpable dans la ville actuellement, et du rôle de l’art…
Avec Elefsina en Grèce et Veszprém en Hongrie, Timișoara est cette année l’une des capitales européennes de la culture. Comment utilisez-vous cet événement dans vos cours en tant que professeur ?
On sent effectivement une vraie effervescence culturelle, quelque chose d’unique. Nous incitons évidemment les étudiants à en profiter. Ils ont l’opportunité de découvrir des productions culturelles d’excellente qualité auxquelles ils n’ont pas normalement accès, mais aussi des personnalités – artistes, écrivains, philosophes, commissaires d’exposition et bien d’autres – qui sont des références dans leurs métiers. Ces « découvertes » peuvent être intégrées au sein du programme régulier, ou faire l’objet d’activités parascolaires. Nous essayons de monter des « masterclass », ateliers, conférences… En général, toutes ces personnalités sont ouvertes pour collaborer. Ainsi, nos étudiants se rendent compte comment les arts peuvent dynamiser une ville, et générer de la valeur à plusieurs égards. Ils voient cette transformation de leurs propres yeux ; nous espérons que cela leur donnera davantage confiance en eux, en la profession qu’ils auront choisie et en ce qu’elle pourra apporter à la communauté.
Selon vous, quelles seraient les fonctions insoupçonnées de l’art ?
De nombreux philosophes et artistes ont réfléchi sur le rôle de l’art, sur cette activité apparemment inutile mais que les gens ont toujours pratiquée. Leurs réponses allaient de dire que l’artiste est une sorte d’illusionniste qui empêche l’individu de trouver la vérité, à affirmer que l’art révèle quelque chose d’essentiel sur le monde dans lequel nous vivons. Ou que l’art nous aide à réaliser notre humanité profonde. Je dirais que l’art peut nous toucher de plusieurs façons. Il peut stimuler notre imagination, nous intriguer et éveiller notre curiosité, ce qui est toujours une bonne chose. Il peut nous consoler, nous proposer des modèles, il peut nous inciter à penser différemment. Il peut nous montrer d’autres facettes de la réalité, ou provoquer des tornades d’émotions. Bien sûr, cette superpuissance de l’art comporte aussi un risque, je pense notamment aux régimes totalitaires qui se sont servis des artistes, alors contraints de s’engager au service d’une idéologie. En général, cependant, le succès de ce genre d’art est limité.
Dans quelle mesure pensez-vous que l’art est un remède aux maux du monde ?
Je ne pense pas que l’art soit une panacée face aux maux du monde, mais je pense qu’il peut apporter une sorte de consolation à la souffrance. Autrefois surtout, l’art parlait de la souffrance de manière à la transfigurer en quelque chose qui faisait sens, la rendant ainsi plus facile à supporter. Dans d’autres cas, l’art expose le mal avec une clarté qui effraie voire choque, mais de cette façon il nous empêche de s’y habituer ou de l’oublier. Et d’autres fois, il nous donne une image de l’idéal, et nous inspire. Même s’il ne peut sauver le monde, il semble qu’il y a quelque chose dans l’art qui peut nous aider à nous sauver nous-mêmes, au niveau individuel.
Propos recueillis par Carmen Constantin.