Entretien réalisé le lundi 20 juin en milieu de journée, par visioconférence et en roumain (depuis Cluj-Napoca).
Marius Lazăr est sociologue et chercheur à l’Université Babeș-Bolyai de Cluj-Napoca. Spécialiste des relations interethniques, il a réalisé plusieurs recherches sur les Russes lipovènes…
D’où viennent les Lipovènes ?
Contrairement à certaines minorités qui se caractérisent par leur origine ethnique ou leur langue, les Lipovènes se définissent surtout par leur religion. Dans le reste du monde, ils sont appelés les « Starovery », Vieux croyants en russe. Il n’y a qu’en Roumanie qu’on les appelle les Lipovènes, l’origine exacte de ce terme n’étant pas claire. L’une des hypothèses est qu’il viendrait du nom d’un ancien leader des Vieux croyants, Filip Pustoviat. Ceci étant, ici on ne commence à mentionner les Lipovènes qu’au 19ème siècle. Leur histoire est longue et digne d’une véritable saga. D’origine russe, il se distinguent pour avoir conservé un ancien rite religieux orthodoxe qui date du Moyen Âge, en opposition aux réformes de l’Église orthodoxe russe de la fin du 17ème siècle. Persécutés, ils ont trouvé refuge dans plusieurs régions du monde, on les retrouve même aux États-Unis. Sur le territoire roumain, ils ont pu s’installer au nord de la Moldavie, dans le delta du Danube et au nord de la Dobrogea, où ils ont été acceptés par les Ottomans en échange de services militaires. Ils y vivent principalement de la pêche et de la navigation. Selon les estimations, ils seraient de nos jours de 25 000 à 30 000.
Comment sont-ils perçus en Roumanie ?
Le groupe a toujours été assez isolé, ils n’ont pas essayé de cultiver le contact avec l’extérieur, leur communauté mène une vie sociale indépendante. À partir du 20ème siècle, leur situation est devenue délicate car ils sont vus comme des Russes, qui ne sont pas forcément appréciés en Roumanie. Et aujourd’hui, avec la guerre en Ukraine, ils se retrouvent dans une position encore plus inconfortable. Toutefois, il ne faut pas oublier que leurs liens avec la Russie ne sont pas évidents, et que par le passé, ils ont eux-mêmes été persécutés par l’impérialisme russe. Ils sont aussi parmi les premiers à avoir aidé les réfugiés ukrainiens du côté d’Isaccea (département de Tulcea, ndlr) en les accueillant dans leur communauté et leurs écoles de langue russe.
Comment arrivent-ils à maintenir leur culture ?
Il y a aujourd’hui des leaders locaux et des intellectuels très investis dans la préservation de leur culture. Au niveau politique, ils sont reconnus comme groupe ethnique par l’État roumain, et sont donc représentés par un député au Parlement aux côtés de dix-huit autres minorités. Chaque minorité a ses organismes qui reçoivent des fonds publics pour financer des événements culturels, des cours de langue et autres activités. L’ambassade russe fournit également des livres et propose des programmes aux jeunes Lipovènes désireux de poursuivre leurs études en Russie. Néanmoins, lors des recensements de population, on observe que les jeunes préfèrent se déclarer roumains plutôt que russes lipovènes afin de s’intégrer plus facilement dans la société. De fait, on ne peut pas se déclarer de deux appartenances ethniques différentes. De leur côté, les personnes âgées ne parlent parfois que russe.
Propos recueillis par Marine Leduc.
Pour aller plus loin :
En 2020, Marius Lazăr a publié un livre sur les Russes lipovènes de Roumanie : https://ispmn.gov.ro/carte/4364
Sur les Lipovènes du delta du Danube, lire cet article de Frédéric Beaumont : https://journals.openedition.org/balkanologie/394
Sur une autre minorité ethnique, les Aroumains, à lire ou à relire notre entretien avec Nicolas Trifon (« Regard, la lettre » du 12 juin 2021) : https://regard.ro/nicolas-trifon/