Entretien réalisé le lundi 20 juin en milieu d’après-midi, en roumain et par téléphone.
Răzvan Dumitru, anthropologue et spécialiste de l’espace post-soviétique, a travaillé sur la République de Moldavie dont il a documenté la période allant de 1990 à nos jours. Impliqué dans l’aide aux réfugiés ukrainiens à Bucarest, il livre ici son expérience…
Comment vous est venue l’idée d’aider ceux qui ont fui la guerre ?
Du fait de mon parcours professionnel, j’avais déjà des liens avec des personnes vivant en Moldavie, en Ukraine, mais aussi en Russie. Cela a certainement joué. J’ai d’ailleurs hébergé une famille de Moldaves qui a fui son pays en février par peur d’une extension du conflit. Très vite, je me suis retrouvé à la gare du Nord de Bucarest avec un ancien ami de lycée pour proposer mon aide. J’ai pris en voiture plusieurs de ces gens qui arrivaient et devaient se loger quelque part dans Bucarest. Il fallait aussi acheter de la nourriture, à boire, les besoins de base pour ces femmes et enfants parfois accompagnés des grands-parents. Un jour, je me souviens être allé récupérer à Buftea une famille de sourds-muets originaires d’une ville près de Kiev, alors en état de siège. Ils s’étaient retrouvés dans un train pour Budapest avec de mauvais billets, avant d’être bloqués par des arbres tombés sur la voie suite à une tempête. Après trois jours à Bucarest, ils sont repartis vers Budapest.
Les besoins ont ensuite évolué…
Oui. Aujourd’hui, j’aide surtout des proches de familles que j’ai déjà aidées et avec qui je suis toujours en contact. Pour ceux qui restent, il faut aller chez le médecin, trouver un appartement et une école pour les enfants. Il y a aussi le volet financier, monter des dossiers pour toucher des aides de l’État, et ensuite passer par des bureaux de transferts bancaires. Mais les virements vers l’Ukraine sont compliqués, la plupart des banques ne les autorisent pas à partir d’un compte ouvert en Roumanie. Or, tous ces gens veulent aider leurs familles, et surtout les hommes restés au pays. J’ai rencontré des Ukrainiens d’un peu partout, certains sont partis de Kherson pour le Canada via Bucarest, après être passés par la Géorgie et la Turquie. Et beaucoup de personnes de Kharkiv et de Mykolaïv – villes situées respectivement à l’est et au sud de l’Ukraine, ndlr – qui m’ont dit qu’il était très difficile d’y survivre. De la nourriture est distribuée dans les rues, mais les gens ont peur de la famine. Toutefois, j’ai le sentiment que la plupart veulent rentrer à un moment donné. Même s’il y a vraiment deux attitudes ; une partie espère que leur région sera libérée et attend impatiemment le retour, d’autres ne voient aucun avenir possible là-bas.
Comment analysez-vous la mobilisation roumaine ?
C’est un amalgame intéressant. Au départ, ce sont surtout les gens qui se sont mobilisés, puis les toutes petites ONG, l’État, et, enfin, les grandes organisations internationales comme la Croix-Rouge, et les entreprises. Je connais beaucoup de Roumains qui ont participé financièrement. De mon côté, j’ai beaucoup dépensé ; avec le recul, ce n’est guère rationnel. Un ami qui a les moyens a dû donner environ 20 000 euros depuis février. Au final, il est question de relations humaines et d’une situation exceptionnelle. On se sent vraiment utile. D’une certaine façon, je pense que tout cela est sans doute plus naturel et efficace qu’un processus bureaucratique lourd et indirect. Même si l’action de l’ensemble des parties prenantes est évidemment nécessaire. Se pose désormais la question financière pour ceux qui restent. Leur intégration aussi. Ces gens peuvent en théorie trouver un emploi, le ministère de l’Éducation a aussi autorisé les élèves et les étudiants à suivre des cours. Il y a énormément de solutions. Surtout dans une ville comme Bucarest où les ressources sont nombreuses. Pour finir, je voudrais insister sur le fait que les Ukrainiens sont extrêmement reconnaissants à l’égard de la Roumanie.
Propos recueillis par Benjamin Ribout.