Entretien réalisé le lundi 20 juin dans la soirée, par téléphone et en français (depuis Cluj-Napoca).
La guerre a provoqué un rapprochement beaucoup plus rapide de l’Ukraine et de la République de Moldavie avec l’Union européenne (UE). Explications avec Sergiu Mișcoiu, professeur de sciences politiques à l’Université Babeș-Bolyai de Cluj-Napoca…
L’Ukraine et la République de Moldavie ont reçu ce jeudi 23 juin le statut de pays candidats à l’Union européenne. Qu’en pensez-vous ?
Ces deux pays ont été invités à devenir des pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne dans un contexte géopolitique particulier. Sans ce contexte, il aurait été difficile que les deux États reçoivent une telle invitation. Précisément parce qu’ils ont encore beaucoup de choses à faire et à prouver, des négociations disons normales auraient abouti à ce statut de pays candidats après seulement plusieurs années. Il s’agit donc avant tout d’un geste géopolitique qui permettra à l’Union européenne de financer les régimes pro-occidentaux en place actuellement à Chișinău et à Kiev dans le but qu’ils restent pro-occidentaux, favorables à l’Union européenne, à l’Alliance nord-atlantique et à ses partenaires. Dans une moindre mesure, on peut aussi dire que c’est un geste destiné à réguler la marche à suivre pour ces pays, comme ce fut le cas dans les années 1990 et 2000 avec les pays d’Europe centrale et orientale. Ceci étant, entre aujourd’hui et le moment où les négociations vont effectivement démarrer, suivies plus tard de la finalisation des dossiers, le chemin reste extrêmement long et difficile. Il est inconcevable à l’heure actuelle que l’Ukraine réussisse à mettre en œuvre les réformes nécessaires dans un contexte de guerre ouverte. Concernant la République de Moldavie, l’affaire est différente, c’est un pays beaucoup plus petit, certes avec moins de ressources mais avec moins de problèmes. Les réformes en République de Moldavie devraient évoluer de façon plus fluide. Néanmoins, il ne faut pas oublier que les deux États sont toujours confrontés à des conflits territoriaux gelés qui ne peuvent être ignorés.
L’Union européenne pourrait-elle accepter la demande de l’Ukraine d’une procédure d’adhésion accélérée et simplifiée, alors que la Moldavie a bien fait comprendre qu’elle n’était pas pressée…
J’ai du mal à le croire. L’Ukraine utilise la guerre pour obtenir un soutien international, c’est compréhensible, mais ce que nous avons vu de l’Occident dépasse jusqu’à présent les limites de la solidarité de l’UE. Jusqu’à l’adhésion proprement dite, il y a une série d’étapes obligatoires. Ursula von der Leyen – présidente de la Commission européenne depuis décembre 2019, ndlr – a qualifié l’Ukraine d’État doté d’une démocratie consolidée, d’un État de droit, etc. Cependant, au-delà des belles déclarations, si l’on regarde les rapports successifs sur l’Ukraine, on constate que s’il y a eu des améliorations au cours des vingt dernières années, de nombreux problèmes structurels demeurent. Je m’attends donc à une opposition de certains États de l’Union européenne, mais aussi de certaines institutions européennes à ces procédures dites accélérées. Le prix serait très élevé, y compris pour l’Ukraine, car toute la procédure de préadhésion vise à fournir à un pays candidat un suivi et une évaluation soutenus afin d’améliorer des domaines clés tels que la justice, l’éducation ou la santé. Avec une procédure rapide, on ferait abstraction d’un objectif primordial, c’est-à-dire la consolidation de la démocratie. Dans le cas de la République de Moldavie, même s’il y a aujourd’hui beaucoup plus de compréhension à son égard, le processus d’adhésion ne peut pas être inférieur à cinq, voire à sept ans. Des questions très compliquées doivent être négociées. Maia Sandu – présidente de la République de la Moldavie depuis décembre 2020, ndlr – a beaucoup d’expérience internationale, elle comprend les mécanismes des négociations d’adhésion, et qu’il est très important que ces négociations apportent un supplément de stabilité, de sérieux et de responsabilité à l’environnement institutionnel et politique de son pays.
Les menaces d’attaques nucléaires de la part des dirigeants de la Russie, Vladimir Poutine en tête, se sont multipliées. Selon vous, quel est le risque d’escalade ?
Il est difficile de croire que nous assisterons à une escalade nucléaire. C’est une dernière ligne rouge à ne pas franchir. Au-delà, il y aurait une troisième guerre mondiale, un cataclysme, on parlerait d’extinction de l’espèce, un scénario absolument apocalyptique. Les menaces d’utilisation d’armes nucléaires font en revanche partie du mécanisme de dissuasion déjà classique de l’URSS, et dont la Russie a hérité. Face aux États non dotés d’armes nucléaires, l’utilisation de cette menace peut effrayer. Cependant, on constate que dans la situation actuelle, la crédibilité de telles déclarations a fortement diminué. D’un autre côté, il y a un risque certain que la Russie utilise des armes chimiques ou même biologiques interdites, ce qui conduirait à des destructions massives de populations et de l’environnement. Et je pense que la Russie n’hésitera pas à les utiliser si elle se retrouve au pied du mur.
Propos recueillis par Carmen Constantin.
Sur la décision du Conseil européen d’accorder le statut de pays candidats à l’Ukraine et à la République de Moldavie : Euractiv (24/06/2022)
Toujours dans Euractiv, article sur la possible levée du véto bulgare quant à la candidature de la Macédoine du Nord après le sommet européen de ce jeudi 23 juin.