Nicolas Trifon, sociolinguiste, essayiste et éditeur, est spécialiste des Aroumains. Il parle ici des principales caractéristiques de cette population…
Qui sont les Aroumains ?
Les Aroumains, aussi appelés Valaques, sont un peuple des Balkans qui se définit avant tout par une langue romane proche du roumain, et qui les différencie des Albanais, des Grecs et des Slaves. Le deuxième trait particulier des Aroumains est de type socio-professionnel, ils étaient bergers et semi-nomades pour la plupart. Enfin, ils se caractérisent par les endroits où ils se sont installés, toujours sur les hauteurs, soit à partir de 1000 mètres, et ce autour de l’an 900-1000 de notre ère. Quant aux Aroumains qui vivent aujourd’hui en Roumanie*, ils sont venus par plusieurs vagues successives. La plus récente est celle des quelque trente mille Aroumains arrivés pendant l’Entre-deux-guerres pour participer à la colonisation de la Dobroudja du Sud. Cette région ayant été rétrocédée à la Bulgarie en 1940, ils se sont retrouvés notamment dans la Dobroudja roumaine. Regroupés par familles et clans au cours de leurs déplacements, ils ont conservé une langue et une identité aroumaine forte. C’est cette communauté qui fait parler d’elle, grâce à des sportifs comme Simona Halep ou Gheorghe Hagi…
* Le recensement de 2002, dernier en date à offrir la possibilité de cocher la case « Aroumain », dénombre 25 053 Aroumains et 1 334 Macédo-roumains. Ce recensement indique également que 13 389 personnes ont déclaré l’aroumain comme langue maternelle, et 869 le macédo-roumain.
Comment sont-ils considérés et perçus en Roumanie ? Et dans les pays des Balkans ?
En Roumanie, il y a toujours eu de la sympathie pour ces « frères du sud », comme les Roumains les appelaient au 19ème siècle lors de la création de l’État roumain. Ailleurs, c’est un peu différent, ils sont considérés comme des autochtones, surtout en Grèce, où un mouvement national aroumain s’est constitué au début du 20ème siècle, avec le soutien de la Roumanie. Mais il y avait une incompatibilité entre les velléités d’autonomie culturelle des Aroumains de Grèce et le nationalisme grec. Finalement, ils ont été assimilés. On les appelle les Grecs vlachophones, ceux qui parlent le vlach, et sont estimés à environ 250 000 personnes. En Albanie, où l’on dénombre plus de 100 000 Aroumains, ils ont obtenu le statut de minorité nationale en 2017. Cela leur permet notamment d’avoir accès aux médias, et à plus de moyens pour perpétuer leur langue et leur culture. En Macédoine du nord, où ils sont environ 10 000, cela fait longtemps qu’ils sont considérés comme minorité nationale. Une des formes de rejet se manifestait plutôt envers les commerçants aroumains dans les grandes villes des Balkans, comme ce fut le cas pour ma famille aroumaine – le père de Nicolas Trifon est aroumain, ndlr – qui venait de Belgrade. Avec leur succès en affaires, ils avaient une mauvaise réputation, un peu comme les Juifs en Roumanie.
Que propose la Roumanie pour les Aroumains, à la fois ceux de Roumanie et des autres pays ?
Les Aroumains sont un peu devenus les victimes collatérales du nationalisme roumain qui entend, par leur biais, rayonner dans les Balkans. Mais c’est peine perdue, en premier lieu parce qu’il n’y a pas de compréhension entre les locuteurs de l’aroumain et du roumain. Il existe des structures communes du langage mais ils ne se comprennent pas. Si l’on prend les Aroumains d’Albanie, ils sont considérés comme grecs par la Grèce, qui leur donne facilement la nationalité. Ils vont donc plus se tourner vers la Grèce. La Roumanie, elle, les considère comme des Roumains de l’étranger, et leur propose éventuellement des bourses d’étude. Il arrive que la même famille aroumaine, en Albanie, envoie les garçons en Grèce pour y travailler, alors que les filles partent étudier en Roumanie. Mais l’attitude de la Roumanie n’est pas claire, car l’aroumain y est catégorisé comme dialecte, et malgré leurs demandes, les Aroumains ne font pas partie des minorités nationales, ce qui leur permettrait d’obtenir divers avantages. Leur langue est en perte de vitesse en Roumanie, et la seule façon de la conserver serait de l’enseigner. Seuls, les Aroumains n’en ont malheureusement pas les moyens.
Propos recueillis par Marine Leduc.
Pour en savoir plus, lire l’ouvrage de Nicolas Trifon, Les Aroumains, un peuple qui s’en va, aux éditions Non Lieu, 2013 : http://www.editionsnonlieu.fr/Les-Aroumains