Entretien réalisé le mercredi 26 octobre dans l’après-midi, par téléphone et en français.
Laure Hinckel est traductrice littéraire du roumain au français depuis près de vingt ans, après avoir été journaliste et correspondante en Roumanie. Elle a notamment traduit des œuvres de Mircea Cărtărescu, Matei Vişniec et Dan Lungu…
Quel sont les principaux défis de la traduction du roumain au français ?
D’abord, les langues romanes comme l’italien ou le roumain, qui paraissent simples à première vue pour une oreille française, renferment beaucoup de pièges. Cela peut donner lieu à une traduction où l’on ne fait que du calquage, de mauvaise qualité, remplie de barbarismes et de termes inappropriés. Ensuite, en tant que traductrice littéraire, je traduis aussi la langue d’un auteur. Et chaque œuvre a sa propre langue. Même si, en tant que traducteurs, on a engrangé suffisamment de connaissances, il faut rester ouverts quand on commence à traduire un nouveau livre. Enfin, les œuvres roumaines comportent des régionalismes qui peuvent poser un défi pour la traduction. Ce qui m’a beaucoup aidé, c’est d’avoir vécu en Roumanie et de connaître des personnes issues de toutes les régions du pays, et de tous les milieux sociaux. Pour la traduction en français, ces régionalismes sont parfois traités comme du jargon ou de l’argot. J’essaie de déterminer le meilleur terme correspondant, tout en prenant compte du sens et de l’intention de l’auteur. Ceci étant, les traducteurs évitent l’utilisation du patois ou de langues régionales françaises, car cela risque de créer une traduction artificielle et vieillotte.
Quelles sont les caractéristiques qui vous marquent chez les auteurs roumains ?
C’est difficile à définir. Tout en partageant la même langue, ils ont chacun leur propre sensibilité. Par exemple, la romancière Simona Sora a écrit sur la recherche mémorielle ; elle a un univers totalement différent par rapport à Matei Vişniec ou à Dan Lungu. Bien entendu, ils sont tous les trois des auteurs roumains perçus comme tels, mais si j’étais une auteure, je n’aimerais pas forcément être définie par ma nationalité ; un romancier est avant tout un être humain qui parle à d’autres êtres humains, peu importe son pays d’origine. Et c’est grâce à la traduction qu’il peut le faire. Les écrivains ont toujours traité les grands thèmes universels de manière personnelle, l’amour, la mémoire, le temps, la société, la solitude… Si des tendances éditoriales se dessinent selon les époques, ces thèmes restent présents, en Roumanie comme ailleurs.
Qu’est-ce que la littérature contemporaine roumaine dit de la Roumanie d’aujourd’hui ?
Au début des années 2000, une nouvelle vague a émergé avec notamment Dan Lungu, Lucian Dan Teodorovici et Florin Lăzărescu, les trois créateurs du Festival international de littérature et traduction de Iași (FILIT, ndlr)*. Enfants à la fin du communisme, ils ont connu la transition et racontent ces événements. Aujourd’hui, ils sont considérés comme des auteurs classiques, et de nouveaux écrivains apparaissent avec leur propre sensibilité, des jeunes qui n’ont pas vécu le communisme, ni même les débuts de la transition, et qui ont forcément une vision différente de celle de leurs aînés. Cela se verra dans les livres qui seront prochainement traduits. Selon moi, ce qui change aujourd’hui, depuis la chute du communisme, c’est la liberté dans l’écriture. Ces derniers jours, j’étais au FILIT. À « La nuit blanche de la poésie », des poètes se sont ouvertement déclarés LGBT+, ils l’assument enfin sur scène. Mais cela reste très courageux. J’espère que les jeunes auteurs français sont conscients de la liberté dont ils jouissent d’écrire et de publier dans un pays beaucoup plus ouvert sur ces questions.
Propos recueillis par Marine Leduc.
* À lire ou à relire, l’entretien avec Florin Lăzărescu (« Regard, la lettre » du 9 octobre 2021) : https://regard.ro/florin-lazarescu/