Analyse du marché littéraire avec Florin Lăzărescu, co-organisateur du Festival international de littérature et traduction de Iași (FILIT) …
Qu’est-ce qui vous anime à organiser chaque année le Festival international de littérature et traduction de Iași* ?
Un public merveilleux d’environ 20 000 lecteurs présents à chaque édition, dont plus de 70% de jeunes. Je me rappelle d’une édition du FILIT d’avant la pandémie quand, un jour, entre 12h et 14h, il y eut 16 événements en parallèle impliquant 40 écrivains et traducteurs contemporains devant au moins 5000 jeunes spectateurs. Plutôt qu’un détournement de la littérature de la part du public et des jeunes en particulier, je pense qu’il y a surtout une apathie de la part des institutions culturelles qui n’organisent pas suffisamment d’événements littéraires attractifs pour le grand public. Or, nous avons réussi ce que nous nous étions proposés ; montrer que la littérature peut aussi être un spectacle, qu’elle peut être présentée autrement que de manière rigide pour un public élitiste. Lors de la deuxième édition du FILIT, j’ai organisé une rencontre avec des écrivains dans une petite ville près de Iași, où je pensais qu’il n’y aurait que dix personnes présentes dans la salle. Mais je me suis dit que ça valait le coup, même pour ces dix spectateurs. Finalement, on a eu 200 personnes. D’abord parce que nous avons proposé des écrivains qui sont de vraies personnalités, et puis parce qu’on a fait une promotion bien ciblée de l’événement.
* La neuvième édition du festival se déroulera du 20 au 24 octobre.
Que manque-t-il à la littérature d’Europe de l’Est pour être mieux connue dans le monde ?
Surtout des projets culturels cohérents, portés par des professionnels, et initiés au niveau de l’État. Je ne donne qu’un exemple ; l’Institut Culturel Roumain, quand il était dirigé par Horia-Roman Patapievici, a réussi à promouvoir la traduction de centaines de titres de langue roumaine dans presque tous les pays européens. Malheureusement, à partir du moment où le projet est tombé dans des mains politiques incompétentes, il est devenu presque invisible. Il serait absurde de croire que de brillants écrivains sont nés principalement en Occident ou dans certains pays prédestinés à la grande littérature. Les différences de réception proviennent principalement du marketing littéraire.
La littérature est-elle encore pertinente dans un monde où les nouvelles plates-formes technologiques favorisent le format très court ?
Il s’agit là d’une longue discussion, avec beaucoup de nuances. D’une part, il est évident qu’aujourd’hui la littérature a perdu du souffle face aux gadgets électroniques. Mais jouons avec quelques chiffres… Selon une statistique de Google, il y aurait environ 13 millions de titres de livres de fiction imprimés au niveau mondial. Le gadget le plus convoité au monde, l’iPhone, ne compte que 13 modèles vendus à environ 200 millions d’exemplaires. Or, je suis convaincu qu’on peut trouver ne serait-ce que 13 titres contemporains qui dépasseront les meilleures ventes d’iPhone. Exemple, la série Harry Potter, qui ne compte que 7 titres, s’est vendue à 450 millions d’exemplaires. Je le répète, il y a des nuances à prendre en compte lorsqu’on parle de ces chiffres, mais il est évident que la littérature reste pertinente même par rapport à l’un de ses plus redoutables ennemis.
Propos recueillis par Matei Martin.