Entretien réalisé le jeudi 6 octobre dans l’après-midi, en roumain et par téléphone.
Les Roumains vus par le photographe Cornel Brad, auteur de l’album « Oameni. Putere. România » …
Qu’est-ce qui vous touche le plus chez les Roumains ?
J’ai beaucoup voyagé à travers le monde, j’ai pris des photos dans une cinquantaine d’endroits sur cinq continents, et j’ai été surpris par les manières différentes dont les gens se rapportent au photographe. De ce point de vue, dans un premier temps, les Roumains sont plutôt réticents à l’idée de se laisser prendre en photo. C’est sans doute normal dans un pays où les habitants ne se sentent pas forcément protégés par l’État. Quand je prends les Roumains en photo, je suis particulièrement touché par la façon dont leurs visages gardent la trace des souffrances infligées par l’histoire. Ce fut d’ailleurs l’idée qui m’a poussé à réaliser le projet photographique « Oameni. Putere. România » (Gens. Pouvoir. Roumanie, ndlr), réunissant plus de 150 portraits de Roumains ayant marqué l’histoire nationale des dernières décennies.
Ce que vous aimez dans la photographie ?
Surprendre le temps. Réussir à rendre les gens conscients de la dimension temporelle de leur existence. Une photo qui arrive à transmettre cette idée de temporalité et qui, en plus, comporte un détail unique est selon moi une photo réussie. L’une de mes photos les plus connues est celle intitulée « Schimbul de geci » (l’échange de vestes, ndlr). Sur cette image, j’ai surpris le libéral Ludovic Orban et le social-démocrate Liviu Dragnea échanger leurs vestes électorales lors de la présidentielle de 2009. C’est une photo qui parle d’elle-même des jeux de pouvoir à huis clos au sein de la classe politique roumaine.
Comment vivez-vous le monde d’aujourd’hui ? Avec espoir, tristesse, colère ?
Je ne me sens ni pessimiste, ni optimiste, et je n’ai pas la prétention de pouvoir changer le monde avec mes photos. La photographie ne peut évidemment pas représenter une solution pour tout. Ce n’est qu’un filtre pour transmettre des sensations et des sentiments. Au début de la pandémie, j’ai pris beaucoup de photos. Sauf qu’à partir du moment où l’on finit par s’habituer au mal, on perd l’intérêt de le photographier. Au final, je me sers de mon appareil surtout pour m’évader du quotidien. C’est ma façon de me protéger des réalités actuelles, même si j’aime découvrir le monde à travers la photographie. Je terminerai en disant qu’en l’absence d’une culture en ce sens, il est dommage qu’en Roumanie les photographes passent souvent inaperçus.
Propos recueillis par Ioana Maria Stăncescu.