Entretien réalisé en français et par mail le mercredi 16 mars (depuis Budapest).
Joël Le Pavous est correspondant à Budapest de Courrier International, Le Soir, Le Temps, Europe 1 et L’Express. Dans cet entretien, il explique la nature des liens actuels entre la Hongrie et la Russie, et des relations entre Budapest et Bruxelles…
La Hongrie, par le biais de son Premier ministre Viktor Orbán, a déclaré son soutien à l’Ukraine face à la guerre. Quel rapport entretient-il avec le président russe Vladimir Poutine ?
Depuis l’arrivée de Viktor Orbán au pouvoir en 2010, le gouvernement hongrois s’est considérablement rapproché de la Russie. Pour Moscou, la Hongrie incarne l’un des principaux alliés européens, voire le plus important. Et pour Budapest, courtiser le Kremlin est l’un des piliers de la stratégie dite d’ouverture vers les puissances de l’Est, Russie, Chine et Turquie en tête. Cependant, la guerre en Ukraine contraint Orbán à jouer un double jeu entre ses partenaires occidentaux et Moscou. D’un côté, le gouvernement soutient les sanctions européennes contre la Russie et accepte également des troupes de l’Otan dans la moitié ouest de la Hongrie. De l’autre, il refuse de s’impliquer dans le conflit, tient au gaz russe bon marché, dont la Hongrie dépend à 80 %, et s’accroche au contrat d’extension de la centrale nucléaire de Paks conclu avec l’entreprise moscovite Rosatom. En outre, l’exécutif magyar ne souhaite aucunement fermer le QG budapestois de la Banque internationale d’investissement, ex-caisse des pays du bloc soviétique et organisme russe réputé pour héberger quantité d’espions au service du Kremlin.
Viktor Orbán a récemment évoqué l’idée d’une sortie de l’UE. Est-ce réaliste ? Sentez-vous la population hongroise suffisamment pro-européenne ?
L’hypothèse d’un « Huxit » a récemment été véhiculée par des éditorialistes proches du pouvoir. Mais ce n’est absolument pas réaliste, tant la Hongrie dépend puissamment des fonds européens. Certes, Viktor Orbán capitalise politiquement sur son opposition à Bruxelles, dénonçant une « chasse aux sorcières » ciblant ceux qui contestent le modèle européen, et aussi en revendiquant la souveraineté magyare au sein de l’Europe. Il défend pour cela le concept d’États-nations forts face aux visées fédéralistes que l’UE promeut. Néanmoins, derrière les discours offensifs, Orbán n’a aucune intention de faire sortir le pays de l’Union européenne, rejointe en 2004 à la faveur de l’élargissement vers les pays d’Europe centrale et orientale. Autre point : la population magyare, de son côté, approuve à plus de 80 % l’appartenance à l’Union européenne, dont elle connaît et utilise les avantages, surtout en matière de libre circulation et de mobilité des travailleurs. Quitter les Vingt-Sept affecterait sensiblement l’économie magyare notamment alimentée par les investissements allemands.
Précisément, comment se porte l’économie hongroise ?
Jusqu’à l’explosion de la pandémie de COVID, l’économie hongroise surfait sur le rebond post-crise financière de 2008 et affichait d’excellents chiffres de croissance, atteignant environ 4 à 5 % chaque année. La politique de bas salaires lui procure un important avantage compétitif et attire ici un grand nombre d’entreprises étrangères. Cependant, ce rebond s’est accompagné d’une « oligarchisation » et d’une confiscation des leviers de l’économie, ce qui a particulièrement profité à l’entrepreneur Lőrinc Mészáros, ami d’enfance du Premier ministre Viktor Orbán, devenu en quelques années l’une des personnes les plus fortunées de Hongrie. Aujourd’hui, dans un contexte d’inflation et de crise énergétique, le gouvernement multiplie les mesures électoralistes pour rester au pouvoir après le scrutin du 3 avril – date à laquelle auront lieu les prochaines élections législatives, ndlr. En l’occurrence, revaloriser le SMIC, augmenter massivement les fonctionnaires, et rétablir le treizième mois de retraite, supprimé en 2009 par le gouvernement socio-démocrate de Gordon Bajnai dans le cadre de mesures d’austérité, quitte à creuser le déficit public. Ou encore bloquer les prix de l’essence à la pompe et geler ceux de plusieurs produits alimentaires de base.
Propos recueillis par Benjamin Ribout.
À lire ou à relire, notre premier entretien avec Joël Le Pavous (« Regard, la lettre » du 19 décembre 2020) : https://regard.ro/joel-le-pavous/. Nous l’avions interrogé sur l’ampleur du pouvoir du Premier ministre Viktor Orbán en Hongrie.