Joël Le Pavous est correspondant à Budapest de Courrier International, Le Soir, Le Temps, Europe 1 et L’Express. Nous l’avons interrogé sur l’emprise du Premier ministre Viktor Orbán et de son parti le Fidesz en Hongrie…
La Hongrie dans son ensemble adhère-t-elle toujours à la politique du Premier ministre Viktor Orbán ?
Un sondage récent indique que le Fidesz, le parti présidé et personnifié par Orbán, est encore à 45% d’opinions favorables, loin devant la Coalition démocratique (DK) de l’ancien Premier ministre Ferenc Guyrcsány, à 19%. Aujourd’hui, le Fidesz peut compter sur un noyau dur de 2 à 2,2 millions d’électeurs sur un total de 8 millions, et ils sont très fidèles. Quand Orbán dit quelque chose, tout le monde acquiesce, que ce soit au sein de son parti ou de son électorat. Il n’y a aucune opposition interne ; en tout cas, elle n’est pas visible. D’ailleurs, s’il y avait un problème avec Orbán, j’ai du mal à voir qui serait en capacité de le remplacer, d’assumer ce rôle de leader. Surtout, Viktor Orbán comme le Fidesz savent parler à leurs cibles : les retraités qui votent, la classe moyenne favorisée, et cette « plèbe » provinciale qui ne s’informe pas, ou uniquement par des canaux qui vantent la politique du gouvernement. C’est aussi ce manque d’accès à l’information en province qui permet au Fidesz de diffuser son message, et de maintenir les gens dans une espèce d’illusion que le pays va bien, que le pays va mieux.
Une reprise du pouvoir par des partis plus modérés est-elle envisageable ?
La première note d’espoir depuis dix ans, c’est le succès assez significatif de l’opposition lors des municipales de l’automne 2019, lors desquelles elle a conquis 10 des 23 plus grandes villes de Hongrie. Pour la première fois à Budapest, il y avait une coalition allant des socialistes du MSZP au Jobbik (extrême-droite, ndlr). Mais cela révèle à la fois la force et la faiblesse de cette alliance, parce que si l’opposition ne s’unit pas, elle est impuissante contre le Fidesz. Et au niveau national, je ne vois pas comment ce genre de coalition aussi large que fragmentée pourrait fonctionner, bien que ces partis d’opposition se soient mis d’accord pour présenter un candidat unique contre Orbán en 2022. En attendant, quand on regarde la carte politique, en dehors des grandes agglomérations, c’est tout orange, c’est le Fidesz.
La presse souffre-t-elle toujours autant du manque de liberté ?
Le cas d’Index, qui était le média indépendant de référence en Hongrie, est le dernier épisode en date d’une longue liste. Miklós Vaszily, le patron de la chaîne gouvernementale TV2, en a pris le contrôle en mars dernier. S’en est suivi une démission en masse des journalistes, refusant le plan de restructuration. La méthode Orbán, c’est ça. Et il y a toute une liste. Quand le site Origo est tombé en 2014, il était clair que le suivant serait Népszabadság. Ça n’a pas loupé : le quotidien a brutalement fermé en novembre 2016. Puis ça a été au tour d’Index. Récemment, c’est le site 24.hu qui a essuyé des attaques. Ceci étant, il y a encore du journalisme indépendant en Hongrie, la cause n’est pas définitivement perdue. Mais c’est un peu comme la cartographie politique, il faudrait qu’il y ait au moins vingt-cinq médias d’opposition pour contrecarrer le poids médiatique d’Orbán.
Propos recueillis par Sylvain Moreau.
Note :
Joël Le Pavous est l’auteur du « Dictionnaire insolite de la Hongrie » (éditions Cosmopole, 2019) : https://www.editionscosmopole.com/notre-catalogue/dictionnaire-insolite-de-la-hongrie/