Entretien réalisé le mardi 1er mars en fin d’après-midi, par téléphone et en roumain.
Dans cet échange, Diana Vasiliu, psychothérapeute, s’intéresse aux répercussions de la pandémie et de la guerre sur les jeunes générations…
Quelles seront les conséquences psychologiques de ces deux années de pandémie sur les jeunes Roumains ?
Si ces conséquences sont déjà difficiles à connaître sur le long terme, aujourd’hui, avec la guerre en Ukraine, et notamment dans cette partie de l’Europe, on aura encore plus de mal à les répertorier. Car toutes les données seront mélangées. Personnellement, je suis profondément inquiète de la situation des enfants et des jeunes d’Europe de l’Est qui, au bout de deux ans de pandémie, ont la malchance d’avoir une guerre à leur porte. La jeune génération a déjà perdu deux ans de vie, une période extrêmement longue dans leur cas ; elle a perdu de multiples occasions de s’amuser et de socialiser. Et maintenant, au lieu de faire le deuil de ces années perdues et de passer à autre chose, elle est obligée de se confronter à la guerre, même si ce n’est que de façon indirecte en ce qui concerne les Roumains.
De façon générale, quels traumatismes rencontrez-vous souvent chez les jeunes ?
La grande majorité des traumatismes de l’enfance sont en rapport à des pertes, notamment la perte d’un parent suite à un divorce ou à une séparation. Mais le contexte politique et social de ces dernières années a rajouté sur cette liste d’autres traumatismes. D’abord, dans le contexte pandémique, l’écart entre les enfants issus des milieux défavorisés et les autres s’est creusé. En milieu rural notamment, les enfants n’ont pas les moyens techniques, ordinateurs, tablettes, etc., pour suivre leurs cours à distance. Du coup, à la campagne, la plupart des écoles ont tout simplement fermé. Après, on a constaté des troubles liés à l’anxiété, à la dépression, et une hyper responsabilisation des enfants qui ont eu du mal à naviguer entre leur souhait normal de socialiser, et la peur de tomber malade et de contaminer les autres. Il y a aussi tous ces enfants confinés au sein de familles désorganisées et pour lesquels l’école ou les amis représentaient une bouffée d’air.
Comment le traumatisme d’une guerre se transmet-il d’une génération à l’autre ?
Avant de répondre à votre question, je voudrais juste mentionner que l’empathie repose sur l’identification. La proximité géographique et historique de l’Ukraine, et le fait de voir chez les réfugiés ukrainiens les mêmes visages que chez nous, les mêmes vêtements, les mêmes valises, tout cela alimente la sympathie des Roumains. Quant à la transmission d’un traumatisme d’une génération à l’autre, il s’agit d’un concept parfaitement réel. Chaque individu est le produit d’une famille, et les histoires de famille se transmettent. Il y a des enfants dont les grands-parents leur racontaient des souvenirs terribles des camps de concentration, le soir, pour les endormir. Toutes ces informations restent stockées quelque part dans le cerveau. Dans d’autres familles, les traumatismes sont cachés, s’installe alors un sentiment de vide qui se transmet, un vide que le cerveau essaie de combler, sans succès dans la plupart des cas. En l’absence d’explications, d’histoires, un traumatisme non-dit tel qu’une guerre peut déclencher toutes sortes de sentiments, l’angoisse, la peur, la colère. Le cerveau transmet le signal, mais en l’absence de récits, on n’a pas les moyens de décoder le message. De fait, la transmission générationnelle fait partie des outils que l’espèce humaine utilise pour assurer sa survie, en évitant que les mêmes situations dangereuses ne se reproduisent.
Propos recueillis par Ioana Stăncescu.
À lire ou à relire, notre premier entretien avec Diana Vasiliu (« Regard, la lettre » du 23 octobre 2021 : https://regard.ro/diana-vasiliu/). Nous l’avions interrogée sur les relations amoureuses des Roumains.