Entretien réalisé le lundi 28 mars en milieu de journée, par téléphone et en français (depuis Budapest).
Comme en Serbie, des élections législatives ont lieu demain dimanche 3 avril en Hongrie. Entretien avec Jean-Baptiste Chastand, correspondant du quotidien français Le Monde à Budapest, pour qui les chances de l’opposition sont minces…
La victoire du parti de l’actuel Premier ministre Viktor Orbán, le Fidesz, est-elle assurée ? Et comment la guerre en Ukraine a-t-elle perturbé la campagne électorale ?
Rien n’est jamais sûr, mais tous les sondages donnent Viktor Orbán légèrement gagnant. Pour que l’opposition obtienne une majorité de sièges, il faudrait qu’aujourd’hui elle mène dans les sondages avec au moins trois points d’avance. Orbán est donc le grand favori, il serait très surprenant que l’opposition remporte ces élections. Le chef de l’opposition lui-même, Márki-Zay Péter, a reconnu que les sondages ne sont pas en sa faveur, et qu’il faudrait un miracle pour qu’il gagne. Mais vu qu’il est très catholique, il croit aussi aux miracles… D’un autre côté, les prévisions électorales en Hongrie ne sont pas très fiables, les instituts de sondage sont très politisés et trop proches du pouvoir ou de l’opposition.
Quant à la guerre en Ukraine, elle est effectivement devenue le principal point de débat pendant la campagne. Viktor Orbán a opté pour une espèce de neutralité. Dans ses discours, il ne critique jamais Vladimir Poutine et ne soutient pas vraiment les Ukrainiens. Il pense qu’il faut d’abord assurer la sécurité de la Hongrie, avoir la paix, et reproche à l’opposition de vouloir s’impliquer davantage dans le conflit.
De son côté, l’opposition accuse le Premier ministre d’être un traître, d’être vendu à Poutine. Leur principal argument de campagne est que s’ils gagnent, la Hongrie redeviendra véritablement pro-européenne, pro-occidentale, et s’alignera sur les positions de l’Union européenne. Le week-end dernier, une vidéo a été très partagée en Hongrie, on y voit le président ukrainien Zelensky interpeler Orbán en lui demandant s’il a conscience de ce qui se passe à Marioupol – ville du sud-est de l’Ukraine située au bord de la mer d’Azov, aujourd’hui pratiquement rayée de la carte suite aux bombardements russes, ndlr.
L’économie hongroise a-t-elle les moyens de tenir les engagements de la campagne électorale de Viktor Orbán, comme l’augmentation du Smic ou des retraites ?
Viktor Orbán n’a pas mené de campagne avec un véritable programme. C’est avant la campagne qu’il a pris ces mesures populistes. Par exemple, depuis le mois de février, il a augmenté toutes les retraites ; il est vrai que leur niveau était plus bas que dans le reste de la région. Il a aussi bloqué le prix de l’huile de tournesol, de la farine, du sucre et du lait, gelé le tarif de l’essence, et pris toutes sortes de mesures autoritaires qui pourraient avoir des effets à long terme. Jusqu’à présent, l’économie hongroise a été aussi dynamique que celle d’autres pays d’Europe centrale. Mais elle accuse un retard en termes de pouvoir d’achat par rapport aux économies slovaque, tchèque ou polonaise. D’ailleurs, l’opposition a fait valoir que la Roumanie fait mieux que la Hongrie pour ce qui est du développement économique. Les mesures prises par Orbán sont si populistes que pour l’essence, par exemple, le prix de vente est devenu plus bas que le prix d’achat. Ce sont les stations-services qui doivent payer la différence. Le principal fournisseur de pétrole en Hongie est MOL, une entreprise très proche de l’État et du Premier ministre. Ceci étant, il a été prévu que toutes ces décisions tiennent jusqu’à mi-mai, c’est-à-dire juste après les élections, comme par hasard.
Comment avez-vous vu les aspirations de la société hongroise se modifier ces dernières années ? L’opposition à Orbán prend-elle de l’ampleur ?
Si l’opposition perd les élections de dimanche, ça va évidemment être un grand coup de massue pour les gens qui sont déçus et n’aiment pas Orbán. Pour la première fois en douze ans, toute l’opposition est unie pour essayer de le battre. Et si tous ensemble, ils ne réussissent pas à le battre, cela veut dire qu’il est quasiment impossible de l’éjecter de pouvoir. Bien sûr, personne n’est immortel. Mais un mauvais résultat serait un choc pour l’opposition, qui pensait avoir trouvé la stratégie gagnante. Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’il y a pas mal de Hongrois satisfaits des politiques d’Orbán concernant le pouvoir d’achat, contre les immigrés musulmans, etc. Notamment grâce à une forte propagande, et un paysage médiatique qui n’existe nulle part ailleurs en Europe. La télévision publique et une bonne partie de la presse privée appartiennent à une fondation proche du pouvoir, qui propage des « « fake news » en permanence. Un outil très efficace pour Viktor Orbán, et très puissant pour le faire réélire.
Propos recueillis par Carmen Constantin.
À lire ou à relire, notre précédent entretien avec Joël Le Pavous, également correspondant à Budapest, sur les relations russo-ukrainiennes (« Regard, la lettre » du samedi 19 mars) : https://regard.ro/joel-le-pavous-2/