Entretien réalisé le mercredi 30 mars dans la matinée, par mail et en français.
Nouvel entretien avec Ionuț-Șerban Jugureanu, sociologue et directeur de la Fondation Parada qui s’occupe des enfants et des familles en situation de précarité, sur la crise des réfugiés ukrainiens…
Comment la guerre en Ukraine a-t-elle modifié l’engagement des ONG en Roumanie ? Le secteur a-t-il bien réagi ou est-il un peu déstabilisé ?
L’invasion russe en Ukraine nous a tous choqués. Le secteur non gouvernemental, comme la société dans son ensemble, se sont mobilisés rapidement et de façon exemplaire. Les ONG ont été de tous les combats, depuis l’accueil des réfugiés jusqu’à l’aide humanitaire fournie à l’Ukraine. En revanche, là où le bât blesse, c’est la coordination des actions et des initiatives, tout comme la coopération avec les pouvoirs publics. S’y ajoute l’absence de ressources, parce que le monde associatif roumain est encore fragile, en proie à la pauvreté et à l’exclusion rampantes qui caractérisent toute la société roumaine. Or, cette crise des réfugiés, qui fait suite à deux années de pandémie, vécues très péniblement, n’a fait qu’empirer les choses.
Comment les besoins humanitaires vont-ils évoluer dans les prochains mois suite à cette vague de réfugiés ?
Il est quasi certain que la totalité des ressources débloquées par les sociétés commerciales dans le cadre de leurs politiques de responsabilité sociale va s’orienter dorénavant vers les réfugiés. C’est compréhensible, bien que frustrant. La Roumanie demeure un pays extrêmement pauvre, où les disparités sociales se creusent de jour en jour. La crise sanitaire n’a fait que les empirer. Et la crise de réfugiés les accentuera encore plus. Des communautés entières, roms ou roumaines, vivent comme au Moyen-Âge, sans eau courante, sans électricité, sans canalisation. Des enfants arrivent à l’âge adulte sans avoir franchi le seuil de l’école. Il existe des choses réellement inacceptables. Mais à l’heure où l’on parle, toute l’attention publique, des politiques et des médias, se concentre sur la guerre en Ukraine et sur la crise des réfugiés. Du coup, on voit des réfugiés ukrainiens qui font don de leurs paquets alimentaires aux gens qui mendient près de la gare de Nord de Bucarest. Je crains que ces crises humanitaires successives ne fassent qu’aggraver le sort des plus défavorisés, en faisant le lit des mouvements extrémistes. Aujourd’hui, les partis d’extrême droite, tels AUR, se font plutôt discrets. Mais ils reviendront bientôt à la charge, en jouant sur les injustices sociales chroniques d’un pays fragilisé.
À Parada, quelle est votre action vis-à-vis des réfugiés ?
Dès le départ, on a rejoint les efforts déployés par les associations qui militent dans le domaine des droits de l’enfance, ou contre la traite dont peuvent être victimes les femmes et les jeunes réfugiés. Par ailleurs, avec l’aide d’un partenaire associatif italien, Cesvi, nous sommes intervenus à la frontière de la petite ville d’Isaccea – département de Tulcea, ndlr –, et dans les centres d’accueil d’urgence des départements de Tulcea et de Galați. Il y aura des éducateurs dans ces centres, nous travaillerons avec les enfants réfugiés au sein de notre cirque social, et nous essayerons aussi de fournir de l’aide matérielle, des aliments, du mobilier, pour que tous ces gens qui ont vu leurs vies basculer soient accueillis au mieux. Pour ma part, je prône à davantage d’investissements publics dans le social, et surtout un meilleur partage des richesses. Sans solidarité, il n’y a pas de société.
Propos recueillis par Ioana Stăncescu.
Note : Cette semaine, le gouvernement roumain a approuvé la Stratégie nationale pour l’inclusion sociale et la réduction de la pauvreté 2022-2027 dont le but est de réduire de 7% le nombre de personnes en proie à la pauvreté d’ici à 2027 par rapport à 2020. Il a également alloué 161 millions de lei (environ 32 millions d’euros) pour la création de 100 centres sociaux, non résidentiels, destinés aux personnes âgées. Selon Eurostat, la Roumanie a le pourcentage le plus élevé de la population menacée de pauvreté ou d’exclusion sociale : 35,8%, contre une moyenne européenne à 21,9%. Source : Curs de Guvernare, cité dans la revue de presse de l’Ambassade de France en Roumanie.
À lire ou à relire, notre premier entretien avec Ionuț-Șerban Jugureanu sur les familles vivant dans la précarité en Roumanie (« Regard, la lettre » du 11 septembre 2021) : https://regard.ro/ionut-serban-jugureanu/