Entretien réalisé le lundi 28 mars en début d’après-midi, par visioconférence et en anglais (depuis Belgrade).
Les élections législatives, municipales – pour Belgrade – et présidentielles ont lieu ce dimanche 3 avril en Serbie. Le point sur ces échéances électorales avec Igor Bandović, directeur du think tank Bezbednost, le Centre de politique de sécurité de Belgrade…
Quels sont les aspects importants de ces élections à retenir ?
D’abord, l’opposition participe, contrairement aux élections législatives de 2020, quand elle a décidé de les boycotter après avoir observé des irrégularités. Ces partis d’opposition ont des chances d’être représentés à Belgrade et au Parlement, et peut-être même au second tour de la présidentielle, même si l’actuel président Aleksandar Vučić risque de l’emporter. Autre chose à retenir, le Parlement européen s’est impliqué pour établir un dialogue entre le gouvernement serbe et les partis politiques afin d’avoir des élections justes et impartiales ; malheureusement, il n’a pas vraiment réussi. La campagne pour ces élections a été inégalitaire, principalement à cause de la scène médiatique qui est totalement biaisée et pro-Vučić. Seuls deux journaux dans le pays sont vraiment indépendants. Par ailleurs, l’opposition alerte de nouveau sur un risque de fraudes électorales, notamment dans les régions éloignées de Belgrade. Ceci étant, le Parlement européen ainsi que l’OSCE sont déjà présents pour surveiller les élections.
Quelles sont les alternatives à Alexander Vučić ?
Il y a deux coalitions d’opposition pro-européennes et pro-démocratiques : « Moramo » (Nous devons, ndlr), présente dans la région de Belgrade et via des mouvements écologistes locaux dans le reste du pays, puis la coalition de la « Serbie Unie ». Les autres sont soit des partis de droite ou d’extrême-droite, soit des mouvements pro-Vučić (1). Il faut souligner que l’écologie est devenue un sujet très important en Serbie, notamment suite au cas Rio Tinto (2), et à tous ces investissements chinois qui font fi des problématiques environnementales. Bien sûr, les gens sensibles à ces questions sont surtout des personnes de gauche, diplômées et jeunes. Ils ne sont pas nombreux, mais ils ont quand même réussi à placer le sujet tout en haut de l’agenda politique. Cela démontre aussi que la Serbie veut se rapprocher des directives européennes. (3)
(1) Le gouvernement actuel est présidé par Ana Brnabić depuis 2017, sur proposition du président Aleksandar Vučić. Ana Brnabić, membre du Parti progressiste serbe (SNS), d’idéologie conservatrice, à la fois nationaliste et pro-européen, est la première dirigeante ouvertement homosexuelle, ainsi que la première personnalité d’origine croate à présider le gouvernement serbe.
(2) En novembre et décembre 2021, des dizaines de milliers de Serbes sont descendus dans la rue pour protester contre le projet de mine de lithium de la multinationale anglo-australienne Rio Tinto, suspecté d’être nuisible notamment pour les rivières de la région. En janvier dernier, ce projet porté par le président sortant a été annulé par le gouvernement. Pour en savoir plus, lire cet article des Échos daté du 21 janvier dernier : https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/la-serbie-enterre-le-plus-grand-projet-de-mine-de-lithium-en-europe-1381018
(3) Lire cet article d’Euractiv sur « L’ambition européenne de la Serbie » (21/03/2022) : https://www.euractiv.fr/section/elargissement/news/lambition-europeenne-de-la-serbie-le-tabou-de-la-campagne-electorale-serbe/
Comment la guerre en Ukraine influence-t-elle les élections ?
La Serbie n’a pas encore décidé si elle allait se joindre aux sanctions contre la Russie. Le gouvernement est sous pression car le pays a beaucoup de liens avec la Russie. D’une certaine façon, ces liens garantissent que le Kosovo ne sera pas reconnu par l’ONU. La Serbie est également dépendante de l’énergie russe. Par ailleurs, une majorité des électeurs de Vučić est plutôt pro-russe. Et donc, s’il s’aligne aux sanctions, beaucoup d’entre eux risquent d’être mécontents et de voter pour un autre parti. Autre chose, une discussion importante à l’heure actuelle concerne les fausses informations. Le jour où la Russie a attaqué l’Ukraine, les grands tabloïds de Serbie ont publié en Une que « l’Ukraine (avait) attaqué la Russie ». La plupart des informations des médias pro-gouvernementaux, qui composent 90% des médias en Serbie, se basent sur Sputnik et Russia Today – deux médias internationaux russes sous la coupe du Kremlin, ndlr. Ils présentent toujours la situation en faveur de la Russie, et n’hésitent pas à faire le lien avec les bombardements de l’OTAN sur la Serbie en 1999. Pour eux, plus qu’une guerre de la Russie contre l’Ukraine, c’est une guerre de la Russie contre l’OTAN, et comme l’OTAN nous a bombardés, on doit s’aligner avec la Russie. C’est une vision très simpliste, mais une majorité de Serbes n’a malheureusement pas accès à une information nuancée.
Propos recueillis par Marine Leduc.
À lire ou à relire, notre premier entretien avec Igor Bandović sur le contexte politique en Serbie (« Regard, la lettre » du 29 mai 2021) : https://regard.ro/igor-bandovic/