Entretien réalisé le lundi 3 février dans l’après-midi, par téléphone et en roumain.
Après une première discussion il y a deux ans et demi, Ionuț Ciurea, vice-président de l’association Pro Infrastructura, revient sur le besoin de nouvelles autoroutes en Roumanie…
Comment voyez-vous la question de l’équilibre entre le maintien d’espaces naturels protégés et le développement d’un réseau autoroutier ambitieux ?
Ce sont effectivement deux aspects qui ne sont pas forcément conciliables, à première vue, et il y a du bon dans chacune des deux visions, c’est évident. Mais il faut bien admettre que les avantages apportés par une infrastructure de transports moderne comporte des bénéfices immenses. Nous parlons ici d’avantages économiques, sociaux, et d’opportunités au sens large également liées à l’environnement. Certes, ne pas avoir d’autoroutes dans une région montagneuse peut signifier que celle-ci sera en quelque sorte mieux protégée voire préservée. Néanmoins, ailleurs, des voitures pollueront toujours, de toute façon. Ne pas construire d’autoroutes ne résout pas le problème environnemental. Nous avons besoin à la fois d’infrastructures vertes et d’infrastructures routières. Ceci étant, il est clair que l’infrastructure routière est beaucoup plus polluante que le chemin de fer. C’est la raison pour laquelle, à côté des autoroutes, il nous faut un réseau ferroviaire moderne. Ce dernier est actuellement en très mauvais état, il périclite sous nos yeux et doit être renouvelé.
Comment être précisément efficace sur ces deux volets, le ferroviaire et le routier ?
En ce qui concerne le volet routier, si l’on se compare à l’Europe occidentale, nous ne disposons pas de grandes infrastructures, à la fois de grande vitesse et sécurisées. C’est en train d’évoluer, mais à un rythme lent ; le pays n’a que 1270 kilomètres d’autoroutes et de voies rapides alors que sa superficie est équivalente à celle du Royaume-Uni. C’est très peu. Prenez la Hongrie, elle est deux fois moins grande et deux fois moins peuplée que la Roumanie, mais dispose d’environ 2000 kilomètres d’autoroutes. Et la différence est encore plus grande avec la Pologne. La conclusion est donc sans appel : la Roumanie doit investir massivement au cours des vingt-cinq prochaines années dans le domaine, et se dépêcher de le faire. Il nous faut environ 2000 kilomètres d’autoroutes et de voies rapides supplémentaires afin d’atteindre le seuil de 3000 kilomètres, ce qui couvrirait l’ensemble du pays et relierait toutes les grandes villes. Cela implique de creuser les Carpates à plusieurs endroits, tout en respectant les espaces naturels où vivent ours, cerfs et autres lynx grâce, notamment, à la construction de tunnels et de viaducs. Quant à l’infrastructure ferroviaire, elle doit tout simplement être reconstruite. Surtout parce que la locomotive diesel la plus lente et la plus polluante sera toujours plus écologique que la voiture.
Comment les Roumains pourraient-ils apprécier davantage les transports publics ?
Si l’on proposait des transports publics confortables, une réelle alternative à la voiture individuelle, les gens opteraient davantage pour les transports en commun. Mais il faudrait vraiment parvenir à un service équivalent voire meilleur à ce que les citoyens ont déjà quand ils prennent leur voiture, c’est-à-dire du confort et de la prédictibilité. À Bucarest, les revenus sont supérieurs à la moyenne européenne, les gens sont désormais habitués à un certain confort, ils ne vont pas troquer leur véhicule pour des bus bondés où il peut faire très chaud l’été. De fait, la plupart des grandes villes roumaines se sont développées de manière chaotique, les transports publics n’ont jamais été une priorité. Il est donc normal que les gens prennent leur voiture. Quant aux habitants des petites villes et villages, il n’est pas rare qu’ils n’aient même pas de route goudronnée devant chez eux, ils sont donc obligés d’emmener leurs enfants à l’école en voiture chaque matin. Ce qui, évidemment, accentue les embouteillages et la pollution. Comme je le mentionnais précédemment, il y a des solutions, mais elles sont complexes et très coûteuses.
Propos recueillis par Carmen Constantin (03/02/25).
Note :
Lien vers notre précédent entretien avec Ionuț Ciurea sur les infrastructures routières en Roumanie (« Regard, la lettre » du samedi 14 mai 2022) : https://regard.ro/ionut-ciurea-2/