Entretien réalisé le mardi 4 février dans la matinée, par téléphone et en français (depuis Paris).
Le vol du Casque d’Or de Coțofenești aux Pays-Bas, dans la nuit du 24 au 25 janvier, place le patrimoine dace sous le feu des projecteurs. Décryptage avec Gabriel Badea-Păun, docteur en histoire de l’art à l’université Paris IV-Sorbonne…
En termes d’objets de valeur, le patrimoine dace est-il conséquent en Roumanie ?
Pas vraiment. Et concernant le Casque d’Or de Coțofenești, il n’a même pas été mis en évidence avec certitude que celui-ci soit bien dace. Il a pu appartenir à une autre peuplade qui serait passée par nos contrées. Lors de sa découverte, en 1929, il a certes été attribué aux Daces, et, à l’époque, les spécialistes l’ont fait remonter au Xème siècle avant J.C. Ce n’est que dans les années 1960-70 qu’il a été daté avec plus de précision, vers le IV-Vème siècle avant J.C. Mais on ne peut le comparer avec d’autres objets du même type, il est donc délicat d’affirmer qu’il soit dace à 100%. Après tout, les représentations inscrites dessus peuvent tout aussi bien faire penser à des trésors retrouvés sur des sites d’Asie centrale. Je pense notamment aux yeux, sur la partie haute du casque. Par ailleurs, la manière dont il a été trouvé est aussi surprenante ; c’est un jeune paysan d’un village près de Ploieşti qui l’a récupéré dans une rivière. Un temps, il aurait servi à nourrir les poules. Par la suite, il a été racheté par quelqu’un qui l’a offert au musée des Antiquités de Bucarest. Avant d’aboutir au Musée national d’histoire en 1973, créé la même année, où il a été considéré d’emblée comme une pièce à part. Le casque a été constamment mis en avant sur les affiches du musée, ainsi que sur des timbres. C’est donc un peu le joyau de la culture dace même si, comme je le mentionnais, son origine n’est pas claire. Voilà pour ce qui est de ce patrimoine dace, c’est à peu près tout. Mis à part le casque, il y a bien une centaine de pièces d’or, des bijoux et des bracelets en or, dont certains ont également été dérobés à plusieurs reprises. Tout est réuni au Musée national d’histoire de Bucarest.
Est-il habituel qu’un objet aussi emblématique comme ce casque voyage à l’étranger ?
Oui. L’exposition présentée aux Pays-Bas venait de passer par l’Espagne et Rome. C’est tout à fait normal ; les œuvres d’art doivent circuler. En France, par exemple, c’est très courant. Et en général, une grande attention est portée aux lieux d’exposition. Or, j’ai été plutôt étonné du choix de ce musée de Drents, à Assen, aux Pays-Bas, car ce n’est pas un musée de premier plan où ce genre de vol aurait été très compliqué voire impossible. J’ai notamment lu que ce musée hollandais n’avait pas de gardien de nuit… À mon sens, il est inconcevable de laisser des objets aussi importants dans des conditions de sécurité qui ne sont pas optimales. Ce casque a une valeur difficilement quantifiable, il est unique, et ne devrait donc sortir de son musée d’origine que lors d’occasions rares. Prenez la Joconde ; la dernière fois qu’elle a quitté le Louvre, c’était dans les années 1960, du temps du président américain Kennedy. J’espère vraiment qu’on retrouvera le casque, il s’agit d’une perte immense.
Quel regard portez-vous sur la mise en valeur de ce patrimoine dace en Roumanie ?
Il y a d’abord un problème de lieu puisque le Musée national d’histoire est en rénovation depuis des années. Ce genre de pièces, comme bien d’autres, sont accessibles au public mais seulement en sous-sol. Cela n’aide pas, d’autant que les musées roumains, de façon générale, n’attirent guère les foules. Des expositions sont organisées, ils se passent des choses, mais l’intérêt de la part du public est plus que réduit. Certes, depuis le vol, les gens se passionnent pour le Casque de Coțofenești. Mais avant, personne n’allait le voir, alors qu’un billet d’entrée au musée ne coûte qu’un ou deux euros. Je pense aussi que la réaction des autorités suite au vol n’est pas à la hauteur ; très vite il s’agira de passer à autre chose, c’est assez déplorable. Quant aux musées de province qui peuvent parfois proposer des choses intéressantes, ils ne sont pas non plus fréquentés, même si les objets d’art y sont conservés dans de bonnes conditions. Pour revenir au Musée national d’histoire, il va falloir que les travaux se finissent rapidement ; le bâtiment présente un risque sismique. Or, il concentre des collections d’une valeur inestimable, mais mal mises en valeur. Cela fait trente ans que cela dure, ça commence à faire long. Autre chose… De nombreux objets anciens sont trouvés par des particuliers grâce à des détecteurs de métaux. Mais dans le même temps, il y a de moins en moins de chantiers archéologiques, faute de moyens. Or, ces fouilles informelles réalisées par des particuliers altèrent voire détruisent les contextes archéologiques ; il est généralement impossible ensuite de restituer les objets en question. Là encore, c’est bien dommage. Ces particuliers espèrent se faire payer pour leurs découvertes – une loi permettant à l’État de racheter les objets trouvés, ndlr. D’un autre côté, cela évite que l’or ne soit fondu…
Propos recueillis par Benjamin Ribout (04/02/25).
Note :
Lien vers notre premier entretien avec Gabriel Badea-Păun sur les peintres roumains ayant voyagé en France (« Regard, la lettre » du samedi 22 janvier 2022) : https://regard.ro/Gabriel-Badea-Paun/